lundi, février 28, 2005

Pot pourri

Un mot sur l'affaire Gaymard : il y a quelque chose de fascinant et finalement de pas très rassurant à voir avec quel amateurisme le pouvoir a géré toute cette affaire. Au début, ça ne se passe pas trop mal : Gaymard accepte, sous la pression de Matignon probablement, de faire savoir qu'il va quitter son logement de fonction dés que le papier du Canard enchaîné du 16 février est connu. Ensuite, il y a peut-être le choix contestable de ne pas se rendre le lendemain au Sénat où le Trombinoscope doit lui remettre le prix de révélation politique de l'année mais d'aller sur France 2 face à DSK dans "cent minutes pour convaincre" et d'y être mauvais.

Mais le pire est à venir, la fameuse interview à Match : je suis pauvre, je n'ai rien, si j'étais riche je n'aurais pas tous ces ennuis. Bref, il y a eu du pétage de plombs. Ce que l'on peut comprendre : le "discret" Gaymard perdait pied. Analysons donc la situation.

Si on avait dit, juste avant l'affaire, à Gaymard qu'il allait sauter, il aurait imaginé avoir commis une lourde faute de politique économique à plusieurs milliards d'euros mais certainement pas cette ridicule histoire de logement de fonction : de minimis non curat praetor comme disaient les anciens. Voilà donc un homme de 44 ans qui milite depuis trente ans, est protégé par le Président depuis vingt, occupe l'un des trois ou quatre plus grands ministères de la République et fait partie de la short list des premier-ministrables. Bref pour Chirac et la chiraquie, quelqu'un de très, très précieux. Et on laisse apparemment cet homme se dépétrer aussi mal que possible d'une histoire qui était encore sauvable à la condition qu'aucune erreur ne soit plus commise, la première étant évidemment de faire une déclaration qui puisse presque immédiatement apparaître comme un grossier mensonge. Bref, qu'ont fait les hommes de communication du Président qui auraient dû se porter immédiatement au secours du soldat Gaymard en perdition ? Qui a laissé faire la désastreuse interview à Match ?

N'importe quel grand patron soumis à une tourmente de ce type où se mêle la faute politique et l'étalement de la vie privée (que l'on croyait à l'abri des regards dans un confortable duplex) aurait été mieux défendu. Je ne veux pas m'apitoyer sur Hervé Gaymard pour qui je n'éprouve aucune sympathie particulière. Mais je suis frappé par l'amateurisme dont on a fait preuve aux plus hauts sommets de l'Etat pour défendre un de ses plus zélés serviteurs qui se croyait tout de même autorisé, travaillant 120 heures par semaines, à loger décemment sa famille nombreuse aux frais du contribuable côté cour et à expliquer qu'il fallait se désintoxiquer de la dépense publique côté jardin. Les hommes de chiffres n'ont pas nécessairement le sens des symboles. mais c'est embêtant pour un homme politique.

Une dernière remarque : la démocratie, Tocqueville l'a bien montré, c'est la passion pour l'égalité. Dans les histoires à la Gaymard, ce qui rend possible cet emballement médiatique très particulier, cette curée, le feuilleton qui se consume et apporte chaque jour de quoi brûler jusqu'à la chute, le côté : faut qu'ça saigne !, c'est bien entendu le viol de cette passion. Et le plaisir, sans égal si l'on peut dire, que prend le peuple à se venger de ces pécheurs. Qu'on se souvienne, par exemple, de l'affaire de la paire de chaussures de Roland Dumas à vingt ou trente mille francs : elle a fait rire, d'un rire vengeur, le pays tout entier qui avait, l'espace d'un instant, l'occasion de jeter un oeil sur les moeurs et le train de vie des grands seigneurs qui nous gouvernent.

Libération du 25 février consacre son "grand angle" à Skyrock, "La radio qui blogue". Et j'y lis ceci : "A la différence des blogs d'adultes, construits et éditorialisés, les blogs adolescents se résument souvent à leur dimension interactive. L'échange prime sur le contenu et un blog réussi déborde de commentaires appelant eux-mêmes des commentaires sur les commentaires et des citations sur d'autres blogs dans un maillage communautaire sans fin." Qu'on me permette un seul commentaire : what a drag it is getting old !

Je lis dans Le Figaro du samedi 26/dimanche 27 février un article ainsi titré : "Ils tuent une automobiliste en jetant des objets de leur voiture". Il s'agit de deux jeunes hommes qui, du côté de Perpignan, ont balancé de leur véhicule un transformateur électrique qui a atterri sur le pare-brise d'une mère de quatre enfants. Ce fait divers me semble exemplaire à beaucoup de titres mais l'un me semble important : tout le monde jette tout à pied en moto ou en auto et c'est pour cela que nos rues ressemblent à des poubelles et nous, forcément un peu à des détritus. Ces deux jeunes cons en ont fait trop, un transformateur électrique c'est un peu plus gros qu'une cannette de bière, mais le principe est le même. Et il est tellement débile que parfois, il tue.

Paul Ink le 01/03/05

samedi, février 19, 2005

La question du pacifisme (Slcdse 4)

Ce qui mérite examen peut être formulé ainsi : comment expliquer que les européens aient réagi si mollement à la réapparition de la violence sociale et à l'explosion de la délinquance, aux pressions migratoires, à l'apparition du terrorisme islamiste ? Tenter de répondre à cette question suppose un détour par l'histoire du XX° siècle.

Dans le livre qu'il a consacré à "La Grande Guerre" (PUF,2004), Jean-Jacques Becker écrit dés l'introduction : "Pourquoi cette fureur de peuples aux civilisations très proches, à se déchirer, à se détruire ?" C'est en effet un immense mystère surtout si l'on songe que l'Europe qui dominait le monde en 1914 sort définitivement détruite et ruinée de ces quatre années, que la Révolution russe est largement une conséquence de la guerre et qu'avec Octobre commence cette "guerre civile européenne" (1917-45) dont Ernst Nolte a écrit l'histoire (Edition des Syrtes, 2000 avec une préface de Stéphane Courtois).

Ce mystère est pourtant moins épais si l'on tente de mettre de côté l'illusion rétrospective. L'histoire de l'Europe se confondait alors avec l'histoire du monde et le monde, le nôtre, n'est-il pas toujours violent et dangereux, habité par des conflits et par des haines ? La vieille passion destructrice tapie au coeur des sociétés humaines trouve à s'épancher en Europe et entre Européens puisque le reste du monde ne compte pas. Alors oui, "Nach Paris !" "A Berlin !" pour détruire l'ennemi héréditaire. En août 14 on va joyeusement à la guerre. Et on sait qu'elle sera courte. La guerre a pourtant subi avec la Révolution française et les guerres napoléoniennes une profonde mutation. La levée en masse unie aux passions patriotiques a définitivement clos l'époque des guerres d'ancien régime. Avec la première guerre mondiale c'est la capacité industrielle mise au service de la plus totale destruction qui vient s'y ajouter. L'un des plus grands livres du XX° siècle, et des plus effrayants, "Orages d'acier" de Ernst Jünger, raconte sur un mode héroïque cette immense mutation d'où naîtra la "fronterlebnis", l'expérience du front, intransmissible, indicible.

L'Europe de l'après-guerre est agitée de soubresauts partout et d'abord en Italie : la marche sur Rome n'a lieu que quatre ans après la fin de la guerre. En Allemagne, tandis que les corps francs luttent contre les bolchéviks sur les marches de l'Est, Ernst von Salomon et ses amis préparent l'assassinat du seul homme d'Etat qui pouvait peut-être sauver la République de Weimar, Walther Rathenau et c'est aussi en 1922 (voir "Les réprouvés"). Dés l'année suivante, c'est le putsch de Munich. De nombreux esprits sont prêts en Europe à embrasser les doctrines les plus extrêmes et les plus fanatiques. Peut-être ces doctrines n'auraient-elles pas triomphé en Allemagne sans la crise de 29. Mais à partir de l'accession d'Hitler à la chancellerie, les esprits les plus lucides savent que l'on va à la guerre. C'est ce que sait par exemple Raymond Aron (voir Nicolas Baverez, Raymond Aron, Champs Flammarion, 1993, p. 102). Personne en revanche n'imagine qu'à l'occasion de cette guerre, le plus grand des crimes, et qui reste en son fond un épais mystère, sera commis au coeur de l'Europe par le régime nazi. On vient de célébrer à quelques jours d'intervalle les soixante ans de la libération du camp d'Auschwitz et ceux des bombardements de Dresde. En 1945, l'Europe est détruite et bientôt traversée par le rideau de fer pour près de cinquante ans.

Il se passe alors un de ces miracles dont l'histoire a parfois le secret. La vie reprend ses droits, l'Europe de l'ouest, avec l'aide des Etats-Unis, se relève. Et les enfants du baby-boom repeuplent le continent meurtri. Des hommes politiques souvent issus de la démocratie chrétienne, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Robert Schuman entreprennent de construire une Europe pacifique et prospère (voir Eugen Weber, Une histoire de l'Europe, Fayard, 1987, p. 761) et y réussissent. Malgré des drames (la partition de l'Inde, la guerre d'Indochine, la guerre d'Algérie) la décolonisation devient un phénomène irréversible et irrésistible : l'une des dernières dictatures d'Europe tombera pour s'accrocher en vain à son empire (révolution des oeillets au Portugal, 1974).

Après trente ans de destructions et de massacres (1914-1945), l'Europe se découvre tout à la fois pacifiste et coupable et ce double sentiment va dominer désormais son rapport au monde. Mais elle découvre aussi, pour la première fois dans l'histoire, le désenchantement du monde. La déchristianisation des pays européens se produit à une vitesse incroyable et n'épargne pas, même si elle les touches un peu plus tardivement qu'au nord du continent, les pays de très ancienne tradition catholique. Mai 68 peut aussi être interprété comme une tentative de répondre à la disparition des arrière-mondes : jouir sans entraves. Une puissante conjonction qui lie cette déchristianisation avec le travail des femmes, l'apparition de la pilule et le désir farouche de profiter de la vie sans s'encombrer d'une trop nombreuse marmaille va faire plonger la démographie européenne. Tandis que l'Europe, toute à la construction d'une zone de prospérité et de paix oublie le bruit et la fureur du monde, son recul sur la scène de ce monde est interprété, et d'abord par les anciens peuples dominés, comme une preuve de faiblesse. C'est à cette question que sera consacré un prochain texte.

Paul Ink le 19 février 2005

lundi, février 14, 2005

Bové, Lyssenko et les OGM

Dans une charte adoptée à Florence le 4 février 2005, vingt régions de l'Union européenne dont cinq françaises revendiquent le droit de se protéger de la contamination transgénique indique Le Monde en ligne du 14 février. Le journal note que "cet évènement constitue une évolution importante du conflit sur les OGM : il témoigne du fait que la contestation n'est plus portée seulement par des associations écologistes, paysannes ou de consommateurs, mais par des autorités élues et disposant, à des degrés divers, de moyens d'exercer un pouvoir."

On peut certes lire les choses comme le quotidien vespéral. Mais on peut aussi voir dans cette affaire une défaite de ceux qui, depuis des années, ont identifié les OGM au diable. Il leur faut désormais négocier une cohabitation qui ne devrait d'ailleurs pas, contrairement à ce qu'ils prétendent, poser beaucoup de problèmes si quelques règles de distance entre plantations sont respectées. Qu'ils en soient à exiger des garanties, d'ailleurs légitimes, pour éviter la "contamination transgénique", montre combien est loin l'époque où ils étaient capables de paralyser le développement des OGM en Europe. Parce que le dossier des anti-OGM fait, chaque jour davantage, la preuve de sa vacuité.

Doc en stock et les Editions de La Martinière ouvrent une nouvelle collection dirigée par Daniel Leconte avec deux ouvrages l'un d'Antoine Vitkine, "Les nouveaux imposteurs" qui traite des idées et réseaux conspirationnistes (voir Le Monde des livres du 3 février 2005) et l'autre "Il faut désobéir à Bové" de Sophie Lepault qui porte précisément sur les OGM. Un livre salutaire qui fait le point du dossier et des polémiques sur la trangenèse dans le domaine de l'agriculture mais aussi de l'environnement ou de la santé. Et une enquête passionnante sur ces nouveaux obscurantistes qui utilisent l'argument d'autorité avec autant d'aisance que le coup de poing et ressemblent, tout compte fait, bien plus à des réactionnaires qu'à des progressistes.

Pour les anti-OGM, les partisans des plantes génétiquement modifiées sont irresponsables : apprentis sorciers qui jouent avec l'avenir des générations futures, vendus au grand capital : ils sont, bon gré mal gré, achetés par Monsanto, naïfs : ils croient encore que la science et la technologie peuvent améliorer le sort de l'espèce humaine. Les anti-OGM eux seraient des amis de la nature et des paysans partout dans le monde, ils lutteraient contre la mondialisation libérale (et accessoirement contre l'axe américano-sioniste) et ils sauraient que la science conduit volontiers au pire. Bref bêtes et méchants contre gentils et intelligents, il faut vraiment être tordu pour faire le mauvais choix.

Seulement voilà : le dossier à charge des OGM est désespérément vide. Peut-être d'ailleurs ne le restera-t-il pas. En attendant, les pays européens prennent du retard dans un domaine qui pourrait s'avérer crucial dans les années et décennies qui viennent et qui ouvre d'immenses perspectives. Il n'est donc pas impossible que dans quelques temps on raconte l'histoire de cette mobilisation anti-OGM avec déclarations incendiaires et arrachages de champs à l'appui comme une deuxième affaire Lyssenko. Il faudra alors tenir compte de la fameuse remarque de Marx selon laquelle, les évènements historiques ont lieu deux fois, une première fois tragiquement et une seconde comiquement...

Paul Ink le 15 février 2005

vendredi, février 11, 2005

Victimes

"Lire est un épouvantable châtiment infligé à tous ceux qui écrivent." (Sigmund Freud, lettre à W. Fliess du 5 décembre 1898, cité par Lydia Flem, L'homme Freud, La librairie du XX° siècle, Seuil, 1991, p. 17)

"J'ai déjà souvent pensé que pour moi, la meilleure manière de vivre serait de m'enfermer avec une lampe et de quoi écrire au plus profond d'une vaste cave, dans la pièce la plus cachée. On m'apporterait ma nourriture que l'on déposerait toujours loin de ma pièce, à la porte la plus extérieure de la cave. Le trajet que je ferais en robe de chambre dans toute la longueur du souterrain serait ma seule promenade. Puis je retournerais à ma table, mangerais lentement, avec réflexion et me remettrais aussitôt au travail. Que n'écrirais-je pas alors ! Dans quels abîmes irais-je arracher mon oeuvre ? " (Franz Kafka, Lettre à Felice du 14 janvier 1913 cité par Elias Canetti, L'autre procès, Lettres de Kafka à Felice, Gallimard, Du monde entier, 1972, p.51)

J'évoquais il y a quelques jours l'article de Blandine Grosjean paru dans Libération du lundi 7 février et intitulé "Le sida en traître" et consacré à une association de femmes séropositives ayant été contaminées par leur partenaire "dans le cadre de relations stables" ou, pour le dire autrement, de femmes fidèles contaminées par leur mari ou leur compagnon infidèles. La journaliste écrit que "l'émergence de Femmes positives au milieu des associations de malades du sida gays ou migrants n'a suscité que du rejet, parfois violent, et pas une once de compassion. Parce qu'elles réclament une pénalisation des contaminateurs mais aussi à cause de leur posture "plus victimes que les autres" , elles sont devenues des "ennemies de la cause" des "hystériques" interdites de parole durant des années."

Cet article m'a fait du bien et je voudrais expliquer pourquoi. D'abord parce qu'il a été publié par Libération ce qui prouve que la liberté de penser loin des consensus politiquement corrects existe encore dans ce journal. Je finissais sérieusement par en douter. Sur des thèmes comme la guerre en Irak, le conflit israélo-palestinien, la "mondialisation libérale", la délinquznce etc etc j'ai le sentiment de lire un organe de propagande et je trouve ça très triste. Ensuite parce que j'ai appris en lisant ce papier que Didier Lestrade, un des fondateurs d'Act Up, avait soutenu cette association et que, là aussi, je n'imaginais pas un instant quelqu'un comme lui appuyer une telle démarche. Preuve que je vois peut-être la réalité plus sombre qu'elle n'est.

Mais j'en viens au coeur de l'affaire. Par un monstrueux paradoxe, cette époque, obsédée par les victimes et les bons sentiments, oublie facilement et même stigmatise avec une impitoyable dureté les victimes qui dérangent. Or ces femmes séropositives dérangent profondément les associations issues de la communauté gay, des usagers de drogues ou des migrants. Elles remettent en question un axiome de la cause qui dit que les relations consentantes entre adultes font nécessairement l'objet d'une co-responsabilité et qu'en conséquence il est absurde et infondé de vouloir accuser celui ou celle qui vous a contaminé, scandaleux de le (la) traîner en justice. On peut, à la limite, entendre un tel raisonnement lorsque deux personnes se rencontrent et ont un brève histoire sexuelle. Mais comment appliquer ce beau principe à une situation où un homme qui se sait contaminé a des rapports sexuels réguliers et non protégés avec son épouse ou sa compagne qui, elle, ignore tout de cette contamination. Ca ne tient plus du tout debout. Dans leur manifeste ces femmes écrivent : "En sanctionnant les libres contaminateurs, souvent récidivistes, nous espérons que la justice les empêche de sévir à nouveau." Seulement voilà, elles ne sont ni prostituées, ni toxicomanes, ni homosexuelles, ni blacks et en plus elles veulent faire des procès aux hommes qui les ont contaminées. Dehors et silence !

Les petits vieux qui se font agresser dans les banlieues dérangent aussi car si l'on prend trop aux sérieux leurs petits souçis on va finir par oublier que les jeunes de cités qui les agressent sont les victimes du racisme, de la xénophobie et des discriminations. Ceux qui subissent le terrorisme aveugle des attentats suicides en Israel dérangent d'abord parce qu'il faut dénoncer le sionisme, ensuite parce que ces victimes là soutenaient peut-être Sharon et qui croirait un instant qu'on puisse soutenir Sharon et être une victime ! Les victimes du terrorisme de Zarkaoui en Irak sont à plaindre certes mais quelle idée aussi d'aller aider les Américains. La liste serait longue. Il ne fait pas bon être une victime qui gêne !

Paul Ink le 10 février 2005

PS1 : Voilà ce que j'écrivais dans mon journal du 8 novemvre 2004 : Une jeune femme s’est suicidée en apprenant que l’homme qui l’avait contaminé et avec lequel elle avait vécu quelques mois avait été relaxé de l’accusation d’empoisonnement. C’est une amie qui lui avait appris que ce charmant garçon était contaminé ce qu’il savait parfaitement et qu’il avait deux autres petites amies. Elle l’a alors quitté, a appris qu’elle était contaminée et lui a fait un procès. Le droit français est mal fait car il n’existe aucune possibilité d’attaquer en justice autre que celle d’empoisonnement. En tout cas, les « associations de lutte contre le sida » (qui n’ont jamais plus mal porté leur nom) se sont mobilisées pour défendre les grands principes de non criminalisation y compris des comportements les plus infâmes au nom de la « responsabilité partagée » entre adultes consentants. En clair, elles se sont mobilisées pour défendre cette ordure (son avocat venait du cabinet d’Alain Molla) et elles ont gagné. Que vaut une vie humaine face à d’impérissables principes ? Rien, évidemment. En l’espace de dix ans, ceux qui se battaient pour la dignité des malades et le refus de la stigmatisation sont devenus les hideux porte-paroles d’une political correctness implacable. Le syndrome orwellien a encore frappé. Il paraît qu’Alain Molla est bouleversé ! On a de la peine pour lui.


PS2 : J'entends ce matin, 11 février, Ariane Mnouchkine dénoncer sur France Culture au micro de Nicolas de Morand les restrictions au droit d'asile. Elle en a parfaitement le droit mais elle devrait se demander si le détournement de sens du droit d'asile en droit d'asile économique n'est pas la cause essentielle de ces nécessaires restrictions. En revanche, il est tout à fait absurde qu'elle compare ce qui se passe aujourd'hui aux heures les plus noires de notre histoire id est Vichy et la Collaboration. Durant la guerre, mon père, Marcel Ink, roumain de nationalité et juif de surcroit, tentait d'échapper à une arrestation par la police française dans un pays occupé par les Nazis. Soixante plus tard, moi, son fils, me rendrais complice de crimes semblables à ceux que subissaient alors les juifs étrangers et français ou les Résistants ! La France, comme tous les autres pays européens, tente, avec beaucoup de prudence et peu de résultats, de maîtriser une immigration qui déstabilise la société française. Voilà qui n'a rien à voir avec ces heures sombres évoquées par la directrice du Théatre du Soleil. Elle a honte de notre politique d'asile. J'ai honte, pour les victimes du nazisme et de la Collaboration, des comparaisons qu'elle fait. Elles désservent sa cause et celle de la vérité.

dimanche, février 06, 2005

La trace des morts

Une amie proche est morte terrassée en quelques semaines par un cancer foudroyant. Elle avait 57 ans. Toutes deux monteuses de films, ma femme et elle étaient très liées. Lorsque quelqu'un qu'on a aimé, avec qui on a passé du temps et dont on connait un peu l'existence disparait, on est scandalisé de voir la vie continuer comme avant. Cette idée d'effacement, comme si rien n'était arrivé sauf pour le cercle étroit des proches est horrible. Et l'on sait qu'il en sera ainsi à sa propre mort.

Cette disparition de l'être aimé ou de l'ami est si insupportable à nos sociétés désenchantées que se sont progressivement rodées des cérémonies laïques qui commencent à avoir une certaine tenue. Ainsi la crémation de notre amie a été précédée d'un moment de recueillement où des personnes proches ont lu des textes écrits par eux, joué de la musique, lu un écrit littéraire tandis que ces interventions étaient ponctuées de morceaux de musique choisis avec soin.

Il y a quelques années, le journal Le Monde a pris une grande décision, celle de consacrer de petites notices biographiques à des personnalités de second ordre. Avant, seules les personnages considérables, grands politiques, écrivains, artistes, scientifiques avaient droit à une (longue) notice. Désormais les seconds couteaux ne disparaitraient pas dans l'anonymat. Mais pourquoi pas un troisème cercle ? Où commence la lumière ?

J'imagine que dans quelques années ou décennies, au moins en Occident, nul ne mourra sans que soit publié ou accessible sur la toile un document comportant des photos, des textes du mort (son blog par exemple), des témoignages etc. On ne supportera pas, précisément parce que la mort est un sommeil éternel, que les traces de la vie de quelqu'un disparaissent aussi complètement que de nos jours.

Cela ne changera peut-être pas grand chose à la dimension de la mort dans la vie mais rendra peut-être plus acceptable notre incroyance si lourde à porter.

Paul Ink le 11 février 2005

samedi, février 05, 2005

Flics et toubibs

L'arrestation par hasard de Romain Dupuy, l'assassin présumé de deux infirmières de l'hopital psychiatrique de Pau, a provoqué des polémiques d'autant plus confuses que deux dimensions différentes ont été confondues : celle qui porte avant et celle qui porte après le crime. Avant, c'est la capacité de prévoir la dangerosité qui est posée : La mère du jeune homme reproche aux psychiatres de n'avoir pas donné suite à sa demande de (ré)hospitaliser son fils. Après, se pose la question de la coopération de la médecine avec la police pour retrouver l'assassin. On se situe alors à un moment où la dangerosité de la personne qui a commis le crime ne fait plus de doute pour personne.


Des policiers dénoncent en effet le peu d'aide qu'ils on reçu des psychiatres pour retrouver le meurtrier. Deux griefs reviennent ; tout d'abord les médecins ne les ont pas aidé à "screener" correctement la personne recherchée : "On nous a adressé des personnes de toute évidence physiquement diminuées, alors que nous cherchions un individu capable de sauter d'une fenêtre située à environ 2 m du sol." (Le Figaro du 02/02/05). Six cents ADN ont ainsi été prélevés pour rien. Par ailleurs, en 2003 un rapport médical avait relevé l'obsession de Romain Dupuy pour la décapitation. Cet élément n'avait pas été transmis à la police. (Le Monde du 03/02/05)

Je suis médecin et je sais donc, par expérience et pour voir travailler mes collègues, combien sont difficiles les rapports entre la police et la médecine. Tout d'abord, les métiers sont si différents que, sauf exception, médecins et policiers ne "voient" pas la même personne : le médecin rencontre quelqu'un qui est en demande de soins et qui se présente (sauf hospitalisation sous contrainte) de son plein gré, le policier interpelle un suspect qui lui est a priori hostile et veut lui échapper. Les soignants voient la douleur, la solitude, le côté humain des personnes, les policiers leur côté noir, sordide, violent et parfois inhumain. Ensuite les médecins soupçonnent toujours les policiers de chercher à violer le sacro-saint secret médical qui est effectivement sacré. Mais il ne justifie pas un racisme anti-flic de principe et/ou une paresse collective. Enfin, et c'est peut-être le plus embarrassant, il y a une sorte de mépris pour le travail policier : leur laisser prélever six cent tests ADN pour rien alors que court un dangereux assassin ne semble pas poser problème. C'est ce mépris que ne supportent pas les policiers qui ont tout de même vu le jeune malade mental sortir un pistolet pour leur tirer dessus à trois reprises (heureusement l'arme s'est enrayée) au moment où ils l'interpellaient (parce qu'il fumait un joint dans la rue !). Tout le monde à Pau espérait l'arrestation de l'assassin y compris, bien-sûr, le corps médical. Cela montre, a contrario, combien est profond le fossé qui sépare flics et toubibs.

La non-coopération s'alimente à une source pourtant commune : psychiatres et policiers sont persuadés, chacun à leur manière, qu'on ne peut rien comprendre à leur (indispensable) sacerdoce et qu'en conséquence il faut donner aux uns et aux autres des explications qu'ils peuvent comprendre, rien de plus. Donnons en un exemple : le docteur Bernard Cordier affirme que "la psychiatrie existe dans un but thérapeutique, pas pour faire régner l'ordre." (Le Monde du 03/02/05). Pourquoi, dans ce cas, les psychiatres ont-ils le pouvoir, apparemment exhorbitant, de procéder à des hospitalisations à la demande d'un tiers (HDT) c'est à dire contre la volonté du patient s'il est dangereux pour lui-même ou pour les autres ? Précisément parce qu'à côté du but thérapeutique existe une dimension de protection de la société qui fait fondamentalement partie de la mission des psychiatres.

Je ne sais comment il est possible de remédier à une telle situation. Peut-être faut-il créer une commission comportant un policier un représentant de l'Ordre des médecins et d'autres qui, dans certaines situations indubitables, demanderait aux uns et aux autres un "haut niveau de coopération". Peut-être faut-il aussi demander aux psychiatres de lire Michel Foucault avec un peu de recul et sans nécessairement le prendre au pied de la lettre ? Peut-être accepteraient-ils alors plus facilement des notions décriées comme le civisme, la défense de la société ou la nécessité d'aider la police lorsqu'elle recherche un dangereux criminel. Derrière le fait divers de Pau il n'y a pas seulement la grande misère de la psychiatrie française, il y a aussi ses profondes apories.

Paul Ink le 6 février 2005

PS1 : un ami me fait remarquer que je n'ai pas bien compris la nature du secret médical. Dont acte. Mais j'aimerais savoir si, en l'espèce, le code de déontologie autorisait ou pas médecins et infirmiers à apporter une aide efficace pour screener les suspects et la transmission de l'information sur les fantasmes de décapitation de Romain Dupuy.

PS 2 : remarquable article de Blandine Grosjean, "Le sida en traître" dans Libération du 7 févier 2005 (rubrique "Grand angle")

mercredi, février 02, 2005

La question du cannabis

Le cannabis est aujourd'hui partout dans les médias alors que le gouvernement lance une grande campagne de sensibilisation sur les risques liés à sa consommation intitulée "le cannabis est une réalité". Ce titre, bizarrement factuel, montre combien la situation a changé ces dix ou quinze dernières années.

Lorsque j'ai commencé à intervenir dans le débat public sur les drogues, au début des années 90, le discours habituel sur le cannabis était de "diabolisation". J'utilise d'autant plus volontiers le mot que c'est nous, je veux dire nous les activistes de l'époque, qui l'avons imposé. Et c'était une grande victoire. Nous ajoutions d'ailleurs : "se tenir à égale distance de l'apologie et de la diabolisation". Mais nous avions surtout tendance à diaboliser la diabolisation.

A l'époque, tout allait dans le même sens, celui d'un changement des politiques en matière de cannabis : la question centrale, pour nous et nous avions raison, était celle du sida chez les injecteurs de drogues et nous dénonçions le temps perdu à prendre en charge (du côté médico-social) ou à réprimer (du côté policier) le cannabis. Ce sentiment était renforcé par le fait que deux pays européens menaient alors une politique éclairée en matière de cannabis : la Hollande et la Suisse. Dés 1976, les Pays-Bas avaient modifié leur législation pour faire de la question du cannabis une "faible priorité", en distinguant drogues douces et drogues dures. Et la Suisse avait l'intention à la fin des années 90 de modifier profondément sa législation datant de 1975 pour aller vers une quasi-légalisation du cannabis à la condition qu'il soit réservé aux Suisses majeurs : pas de tourisme de la drogue et pas de vente aux mineurs.

Pourquoi les Suisses voulaient-ils aller au delà de la politique hollandaise dite de séparation des deux marchés et qui tolérait les "coffee shops" ? A cause de ce que les spécialistes appellent le "back door problem". De quoi s'agit-il ? Les Hollandais, contrairement à une légende tenace, n'ont jamais légalisé le cannabis. Pour ce faire, ils auraient d'ailleurs dû dénoncer les conventions internationales qu'ils ont signé et cette dénonciation aurait fait grand bruit. Ils ont seulement toléré que les coffee-shops vendent de petites quantités de cannabis (herbe ou haschisch), quantités qui ont d'ailleurs varié avec le temps, à la condition qu'aucune drogue dure ne soit proposée dans le coffee shop. L'objectif était le suivant : quelqu'un qui veut se procurer un peu de cannabis doit pouvoir le faire sans se voir proposer de l'héroïne ou de la cocaïne. Il faut séparer le marché des drogues douces de celui des drogues dures. Mais d'où vient le cannabis des coffee-shops ? Du marché clandestin ! C'est la raison pour laquelle les adversaires des coffee-shops disaient que nombre d'entre eux étaient tenus en sous-main par des mafias, par exemple turque, et que les bénéfices faits avec le cannabis pouvaient parfaitement être réinvestis dans le trafic de drogues dures. Bref, que cette histoire de coffee shop était une fumisterie.

Fort de ces données, les Suisses étaient sur le point de tolérer que des planteurs de chanvre commercialisent dans des magasins de "chanvre global" toutes sortes de produits issus du cannabis y compris les sommités fleuries riches en THC (herbe) ou la résine (haschisch). Ainsi ce ne serait pas une production clandestine tenue par des groupes criminels mais un cannabis légal ou quasi-légal qui serait vendu dans ces magasins. Exit le back door problem !

Nous avions donc l'espoir de voir la politique européenne en matière de cannabis sortir de la prohibition et de ses effets pervers : trafic tenu par des groupes criminels, violence, corruption etc. Nous jugions par ailleurs le cannabis comme une drogue nettement moins dangereuse que l'alcool. Bref, l'avenir radieux était à portée de main. Nous nous étions trompés.

Que s'est-il passé ? L'explosion de la consommation de cannabis de ces dix dernières années a prioritairement concerné les jeunes et les très jeunes : très embarrassant !Car personne ne soutiendra qu'il est sans importance qu'un enfant de treize ou quatorze ans fume des joints par exemple le matin sur la route du collège. D'abord parce que fumer quoi que ce soit à cet âge est une très mauvaise idée. Ensuite parce que la scolarité en prend un coup. Et que le "bizeness" peut n'être pas loin. Enfin parce que conduire son deux roues sous cannabis surtout si on a bu une bière est dangereux pour soi et pour les autres (et les études montrent que ce sont les mêmes jeunes qui fument du tabac et boivent de l'alcool qui consomment du cannabis).Ajoutons, pour faire bonne mesure, que certaines études qu'on ne peut balayer d'un revers de main montrent des liens inquiétants entre consommation de cannabis et certains troubles mentaux. Proportionnellement faible, le nombre de personnes concernées cesse d'être négligeable lorsque la consommation se généralise.

Ensuite, les espoirs que nous avions mis dans les politiques hollandaise et suisse se sont effondrés. Ces deux pays ont basculé à droite : le modèle hollandais est remis en cause et la loi suisse selon toute probabilité ne sera pas changée. Dans ces deux pays les questions d'insécurité et d'immigration ont joué un rôle crucial dans le basculement de l'opinion publique. On peut en tirer deux conclusions : la première, c'est que les politiques de drogues dépendent des politiques en général et sont donc à la merci de ce cadre plus large s'il vient à changer; la seconde, c'est que les questions d'insécurité, de drogues et d'immigration entretiennent des liens complexes et qu'on aurait tort de penser que l'opinion publique ne les voit pas. Il ne s'agit pas comme le FPÖ de Haider de crier : "A bas les dealers africains !". En revanche, refuser de voir la réalité sous prétexte qu'elle est dérangeante ne peut mener qu'à des défaites.

Enfin, la question du sida parmi les injecteurs n'est plus au coeur du débat public sur les drogues. On ne peut que s'en féliciter : c'est une grande victoire de la politique dite de "réduction des risques" (accès aux seringues propres, traitements de substitution à l'héroïne...). Mais dans un tel contexte la question du cannabis redevient d'actualité. Avec le paradoxe suivant : la loi française pénalise l'usage simple (c'est à dire ne s'accompagnant pas de trafic) de drogue y compris de cannabis d'une peine allant jusqu'à un an de prison ferme. En pratique, la loi ne peut être appliquée. Cela ne veut pas dire que les consommateurs de joints ne risquent rien. Mais que l'usage s'est considérablement banalisé.

Dans ce contexte, le gouvernement ne modifiera pas la loi du 31 décembre 1970 de peur, en dépénalisant l'usage, de donner le mauvais message à la jeunesse. Lionel Jospin avait renoncé à modifier la loi pour éviter que s'affontent ceux qui dans la gauche plurielle étaient hostiles à la dépénalisation de l'usage et les Verts qui risquaient de faire de la surenchère dans l'autre sens. Pour des raisons inverses, c'est à dire identiques, le gouvernement Raffarin n'a pas voulu que l'aile la plus dure de la majorité demande au Parlement une loi ferme et applicable. L'opinion publique, quant à elle, est déboussolée mais le sentiment qui domine, alors même que la lutte contre le tabagisme a pris de la vigueur, c'est qu'on fume trop de cannabis et trop jeune.

Les politiques de drogues avancent lentement. L'argument de ceux qui prétendent qu'il est absurde d'ajouter à ces deux poisons légaux que sont le tabac et l'alcool un troisième poison, le cannabis, reste très difficile à contredire. Il est malheureux que le changement de discours sur le cannabis et qui a concerné les médias et les experts (voir le rapport de Bernard Roques en 1998) se soit accompagné d'une explosion de la consommation donnant le sentiment que les deux évènements étaient liés et que l'un était la conséquence de l'autre. Car le problème d'une loi raisonnable et applicable reste entier.

Paul Ink le 2 février 2005

Ce que j'ai appris

(Je tente d'échapper à la tyrannie de la longueur. J'ai donc décidé de créer des rubriques ou des thèmes. J'avais commencé avec "La crise des sociétés européennes". Je crée ce jour une rubrique "Ce que j'ai appris" qui me permettra d'écrire des textes courts voir des aphorismes. Voici le premier :)

Quand j'étais jeune, j'étais persuadé que la liberté et l'égalité allaient du même pas. Et puis j'ai découvert qu'il n'en était rien et que la "passion de l'égalité" pour parler comme Tocqueville pouvait détruire la liberté dans les sociétés démocratiques. Et, dans les mauvais jours, il me semble voir cette destruction à l'oeuvre dans mon propre pays.

Paul Ink le 01/02/05

mardi, février 01, 2005

Un couteau sans lame auquel il manque le manche

"Nous aurions accepté les résultats des élections qu'elles soient remportées par les chiites, les Kurdes ou les sunnites, si elles s'étaient déroulées dans un pays qui n'est pas sous occupation" Le comité des oulémas irakiens (sunnites), Libération du 01/02/05.

Le comité des oulémas brûle : on attend donc avec impatience le jour où des élections démocratiques seront organisées sans occupation militaire. Le comité des oulémas a relu récemment Lichtenberg qui évoquait "un couteau sans lame auquel il manque le manche". Même humour dévastateur !

Paul Ink le 01/02/05