jeudi, avril 13, 2006

Rigidités

Je vis une situation très intéressante et pleine d'enseignements sur les blocages de la société française : je cherche à louer un appartement à Paris et n'y parviens pas. Pourquoi ? Pour deux raisons qui s'additionnent : la première, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, c'est qu'un locataire, une fois dans les lieux, il est fort difficile pour le propriétaire de s'en débarrasser s'il ne paie pas son loyer. On doit à la gauche d'avoir surprotégé le locataire. Elle a malheureusement oublié qu'avant d'être surprotégé, il fallait qu'il le devienne, locataire. Et c'est bien là que le bât blesse. D'après ce que me disent les agences, ça peut prendre entre deux et quatre ans pour virer un locataire indélicat ! Conséquence : les proprios prennent des garanties exhorbitantes quand ils ne renoncent pas purement et simplement à mettre leur bien en location. De plus, mais ceci est peut-être une conséquence de cela, l'offre est faible et la demande forte. Bref, le système est totalement bloqué et fait furieusement penser au marché du travail : il est très difficile d'obtenir un CDI mais (ou plutôt car) une fois qu'on l'a, il est difficile d'être viré. C'est la prime à ceux qui sont déjà là et la déprime de ceux qui n'y sont pas encore à commencer par les jeunes.

Un ami me dit qu'à Tel Aviv on loue un appartement dans la journée. Mais comme il est rare d'avoir le beurre et l'argent du beurre, on est rapidement viré si on ne paie pas. Ce qui est frappant dans cette histoire, c'est le niveau véritablement effrayant de rigidité du modèle français. Reprenons les locations : si on a un CDD, si on est intermittent du spectacle (et même si on travaille beaucoup et qu'on est bien payé), si on touche des Assedic, inutile de chercher à louer, on n'y parviendra pas.

La jeunesse vient de se battre contre le CPE et peut crier victoire : le marché du travail va rester aussi inaccessible qu'il l'était. Je ne dis pas cela pour défendre M. de Villepin qui a voulu, mal lui en a pris, passer en force. Mais c'est bien de flexibilité dont on a partout besoin. Malheureusement, et comme chacun sait, flexibilité veut dire libéralisme qui est en France un gros mot. Si tant de jeunes Français partent au Royaume-Uni, ce n'est pas seulement pour apprendre l'anglais mais pour travailler, gagner leur vie, être sur le marché du travail. Certes les emplois qu'ils trouvent sont mal payés mais vaut-il mieux être mal payé ou pas payé du tout ? En outre une fois qu'ils ont le pied à l'étrier, ils peuvent faire leurs preuves et prétendre à des fonctions mieux rémunérées et plus intéressantes. Ou du moins pouvaient car ils subissent désormais de plein fouet la concurrence des jeunes venus de l'Est...

Si les locataires étaient plus facilement expulsables lorsqu'ils ne paient pas, la barre à franchir s'abaisserait, des catégories entières de personnes exclues de la location pourraient y avoir accès comme c'est le cas en Allemagne où le marché est beaucoup plus fluide parce que le locataire qui ne paie pas ne peut guère rester plus de six mois ou un an dans les lieux. Notre système de protection est devenu massivement contre-productif. Une fois acquis (l'appartement, le CDI), tout va bien. Le hic c'est que l'accès devient chaque jour plus difficile et exclut chaque jour davantage de monde à commencer par les plus jeunes qui, par définition, ne sont pas encore dans la place. Etonnez vous après cela que le rêve d'une majorité de jeunes Français soit d'être fonctionnaires !

Paul Ink le 13/04/06