vendredi, février 11, 2005

Victimes

"Lire est un épouvantable châtiment infligé à tous ceux qui écrivent." (Sigmund Freud, lettre à W. Fliess du 5 décembre 1898, cité par Lydia Flem, L'homme Freud, La librairie du XX° siècle, Seuil, 1991, p. 17)

"J'ai déjà souvent pensé que pour moi, la meilleure manière de vivre serait de m'enfermer avec une lampe et de quoi écrire au plus profond d'une vaste cave, dans la pièce la plus cachée. On m'apporterait ma nourriture que l'on déposerait toujours loin de ma pièce, à la porte la plus extérieure de la cave. Le trajet que je ferais en robe de chambre dans toute la longueur du souterrain serait ma seule promenade. Puis je retournerais à ma table, mangerais lentement, avec réflexion et me remettrais aussitôt au travail. Que n'écrirais-je pas alors ! Dans quels abîmes irais-je arracher mon oeuvre ? " (Franz Kafka, Lettre à Felice du 14 janvier 1913 cité par Elias Canetti, L'autre procès, Lettres de Kafka à Felice, Gallimard, Du monde entier, 1972, p.51)

J'évoquais il y a quelques jours l'article de Blandine Grosjean paru dans Libération du lundi 7 février et intitulé "Le sida en traître" et consacré à une association de femmes séropositives ayant été contaminées par leur partenaire "dans le cadre de relations stables" ou, pour le dire autrement, de femmes fidèles contaminées par leur mari ou leur compagnon infidèles. La journaliste écrit que "l'émergence de Femmes positives au milieu des associations de malades du sida gays ou migrants n'a suscité que du rejet, parfois violent, et pas une once de compassion. Parce qu'elles réclament une pénalisation des contaminateurs mais aussi à cause de leur posture "plus victimes que les autres" , elles sont devenues des "ennemies de la cause" des "hystériques" interdites de parole durant des années."

Cet article m'a fait du bien et je voudrais expliquer pourquoi. D'abord parce qu'il a été publié par Libération ce qui prouve que la liberté de penser loin des consensus politiquement corrects existe encore dans ce journal. Je finissais sérieusement par en douter. Sur des thèmes comme la guerre en Irak, le conflit israélo-palestinien, la "mondialisation libérale", la délinquznce etc etc j'ai le sentiment de lire un organe de propagande et je trouve ça très triste. Ensuite parce que j'ai appris en lisant ce papier que Didier Lestrade, un des fondateurs d'Act Up, avait soutenu cette association et que, là aussi, je n'imaginais pas un instant quelqu'un comme lui appuyer une telle démarche. Preuve que je vois peut-être la réalité plus sombre qu'elle n'est.

Mais j'en viens au coeur de l'affaire. Par un monstrueux paradoxe, cette époque, obsédée par les victimes et les bons sentiments, oublie facilement et même stigmatise avec une impitoyable dureté les victimes qui dérangent. Or ces femmes séropositives dérangent profondément les associations issues de la communauté gay, des usagers de drogues ou des migrants. Elles remettent en question un axiome de la cause qui dit que les relations consentantes entre adultes font nécessairement l'objet d'une co-responsabilité et qu'en conséquence il est absurde et infondé de vouloir accuser celui ou celle qui vous a contaminé, scandaleux de le (la) traîner en justice. On peut, à la limite, entendre un tel raisonnement lorsque deux personnes se rencontrent et ont un brève histoire sexuelle. Mais comment appliquer ce beau principe à une situation où un homme qui se sait contaminé a des rapports sexuels réguliers et non protégés avec son épouse ou sa compagne qui, elle, ignore tout de cette contamination. Ca ne tient plus du tout debout. Dans leur manifeste ces femmes écrivent : "En sanctionnant les libres contaminateurs, souvent récidivistes, nous espérons que la justice les empêche de sévir à nouveau." Seulement voilà, elles ne sont ni prostituées, ni toxicomanes, ni homosexuelles, ni blacks et en plus elles veulent faire des procès aux hommes qui les ont contaminées. Dehors et silence !

Les petits vieux qui se font agresser dans les banlieues dérangent aussi car si l'on prend trop aux sérieux leurs petits souçis on va finir par oublier que les jeunes de cités qui les agressent sont les victimes du racisme, de la xénophobie et des discriminations. Ceux qui subissent le terrorisme aveugle des attentats suicides en Israel dérangent d'abord parce qu'il faut dénoncer le sionisme, ensuite parce que ces victimes là soutenaient peut-être Sharon et qui croirait un instant qu'on puisse soutenir Sharon et être une victime ! Les victimes du terrorisme de Zarkaoui en Irak sont à plaindre certes mais quelle idée aussi d'aller aider les Américains. La liste serait longue. Il ne fait pas bon être une victime qui gêne !

Paul Ink le 10 février 2005

PS1 : Voilà ce que j'écrivais dans mon journal du 8 novemvre 2004 : Une jeune femme s’est suicidée en apprenant que l’homme qui l’avait contaminé et avec lequel elle avait vécu quelques mois avait été relaxé de l’accusation d’empoisonnement. C’est une amie qui lui avait appris que ce charmant garçon était contaminé ce qu’il savait parfaitement et qu’il avait deux autres petites amies. Elle l’a alors quitté, a appris qu’elle était contaminée et lui a fait un procès. Le droit français est mal fait car il n’existe aucune possibilité d’attaquer en justice autre que celle d’empoisonnement. En tout cas, les « associations de lutte contre le sida » (qui n’ont jamais plus mal porté leur nom) se sont mobilisées pour défendre les grands principes de non criminalisation y compris des comportements les plus infâmes au nom de la « responsabilité partagée » entre adultes consentants. En clair, elles se sont mobilisées pour défendre cette ordure (son avocat venait du cabinet d’Alain Molla) et elles ont gagné. Que vaut une vie humaine face à d’impérissables principes ? Rien, évidemment. En l’espace de dix ans, ceux qui se battaient pour la dignité des malades et le refus de la stigmatisation sont devenus les hideux porte-paroles d’une political correctness implacable. Le syndrome orwellien a encore frappé. Il paraît qu’Alain Molla est bouleversé ! On a de la peine pour lui.


PS2 : J'entends ce matin, 11 février, Ariane Mnouchkine dénoncer sur France Culture au micro de Nicolas de Morand les restrictions au droit d'asile. Elle en a parfaitement le droit mais elle devrait se demander si le détournement de sens du droit d'asile en droit d'asile économique n'est pas la cause essentielle de ces nécessaires restrictions. En revanche, il est tout à fait absurde qu'elle compare ce qui se passe aujourd'hui aux heures les plus noires de notre histoire id est Vichy et la Collaboration. Durant la guerre, mon père, Marcel Ink, roumain de nationalité et juif de surcroit, tentait d'échapper à une arrestation par la police française dans un pays occupé par les Nazis. Soixante plus tard, moi, son fils, me rendrais complice de crimes semblables à ceux que subissaient alors les juifs étrangers et français ou les Résistants ! La France, comme tous les autres pays européens, tente, avec beaucoup de prudence et peu de résultats, de maîtriser une immigration qui déstabilise la société française. Voilà qui n'a rien à voir avec ces heures sombres évoquées par la directrice du Théatre du Soleil. Elle a honte de notre politique d'asile. J'ai honte, pour les victimes du nazisme et de la Collaboration, des comparaisons qu'elle fait. Elles désservent sa cause et celle de la vérité.

3 Comments:

At 11 février 2005 à 19:07, Anonymous Anonyme said...

Soyons clairs: notre vieille chère Ariane devient gateuse.
Et une gateuse qui s'est toujours prise pour une intello qu'elle n'a jamais été, forcément, ça dérape.

 
At 11 février 2005 à 22:16, Anonymous Anonyme said...

Pas si sûr. Elle représente parfaitement ce courant de la gauche dite morale qui possède le vrai et le bien pour l'éternité.

 
At 6 novembre 2005 à 13:13, Anonymous Anonyme said...

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