mercredi, juin 22, 2005

Guantanamo, Abou Graïb et les Droits de l'Homme

J'apprends, en écoutant aujourd'hui France Info, le plus politiquement et professionnellement correct des médias français avec Le Monde (qui commence aujourd'hui une grande campagne contre Nicolas Sarkozy), que Botero (pour lesquel je n'ai pas de penchant particulier mais des goûts et de couleurs...) vient de produire plusieurs oeuvres immortelles signées Abou Graïb. Il veut ainsi protester contre la violation des Droits de l'Homme commise par la première puissance du monde explique une de ses apologètes. Elle ajoute que les pays du tiers-Monde qui violent ces mêmes droits, ce n'est pas bien mais, bon, ce sont des pays (pauvres) qui ont des excuses.

Etant de parti pris, je caricature mais je demande à l'auditeur (ou au lecteur : le reportage est peut-être en ligne sur le sîte de la radio) de vérifier que rien de ce que je dis n'est faux. Et j'en viens donc à autre chose qu'à la propagande.

Première remarque : oui, Guantanamo et Abou Graïb et tout ce qui y ressemble posent un problème aux démocrates et aux adeptes des libertés (il existe un mot plus court pour les désigner : libéraux). C'est tellement vrai qu'un des meilleurs essayistes du pays et l'un de ses esprits les plus subtils, Pascal Bruckner, a publié il y a quelques mois dans Le Figaro du 11 mai 2004 un papier qui rompait avec la politique américaine de Bush. Lisez ce papier et vous comprendrez quelle fracture a traversé la maigre cohorte des partisans français de l'intervention américaine en Irak.

Certains autres, dont l'auteur de ces lignes, ont refusé de jeter le bébé avec l'eau du bain ou, pour le dire autrement, de caler à la première difficulté, de récuser le monde réel, celui des mains sales, pour le monde idéal de la morale de Kant, celle qui a les mains propres mais qui, selon la célèbre formule de Nietzsche, n'a pas de mains. Il était un peu difficile d'avoir pendant tant d'années soutenu La Tcheka, la Guépéou, le NKVD sans l'ombre d'une hésitation pour se précipiter sur le premier bon prétexte venu, celui qui fait dire à la gauche : cet homme s'est égaré mais il n'est pas définitivement perdu !

La différence entre les démocraties et les dictatures, c'est le New Yorker, nul n'en disconvient. Et je ne doute pas que Guantanamo et Abou Graïb finiront pas être fermés. Mais comme j'aimerais que Botero ait un jour envie d'utiliser son (énorme) talent pour rendre hommage aux victimes du terrorisme aveugle, celui qui tue des civils partout sur la terre et trop souvent au nom d'Allah. Je risque fort d'attendre longtemps.

Paul Ink le 22 juin 2005

dimanche, juin 19, 2005

Otages : le malaise

Comme des millions de Français, je me suis réjoui de la libération de Florence Aubenas et de son guide Hussein Hanoun. Je voudrais qu'il n'y ait là dessus aucune ambiguité. Mais cela ne m'empêche pas d'éprouver une gêne persistante devant toute cette affaire.

Ainsi "Libération" du lundi 13 juin 2005 présente une photo de chacun des deux otages que barre, en bas de page, un "merci" (entre guillemets). Ce qui est embarrassant, et Libération ne peut l'ignorer, c'est que ce merci s'adresse à tout le monde et à personne. Il s'adresse donc aussi un peu (beaucoup ?) aux preneurs d'otages qui ont accepté de négocier et, ce faisant, ont sauvé la vie de "Florence et Hussein". Malaise.

Dans son édition du 13 juin, Le Figaro note que "l'ambassadeur de France, Bernard Bajolet a jeté hier un pavé dans la mare en s'interrogeant sur "l'impact de la campagne médiatique pour la libération des otages". "Si elle part de bons sentiments, on peut se demander si elle sert vraiment à leur libération" a-t-il dit. D'autres négociateurs confirment que la mobilisation populaire, même si elle est indispensable dans les premiers temps, peut devenir contre-productive si elle est trop vocale. "Un dosage est nécessaire, car une mobilisation trop forte ne poussait pas les preneurs à conclure un accord" selon une source proche du dossier Aubenas."

La prise d'otages de journalistes travaillant pour de grands médias occidentaux est une excellente affaire politique et financière pour les ravisseurs puisqu'ils sont assurés de voir l'enlèvement couvert d'abord par le média dont le (la) journaliste a été enlevé(e) puis, solidarité oblige, par l'ensemble des médias du pays considéré et très au delà. Ce qui leur permet ensuite de fixer confortablement les enchères. Belle manière de prendre au piège les sociétés démocratiques. Il ne s'est passé que quelques jours entre la fin de la prise d'otage de Chesnot et Malbruno et le début de celle d'Aubenas. A qui le tour ?

Le Monde daté du 15 juin rapporte que les services de renseignements roumains ont identifié le groupe qui a enlevé les trois journalistes roumains (détenus un temps avec Florence Aubenas) et qu'on y trouve un frère de Mohammad Munaf, le guide irakien de ces journalistes ! Ce n'est plus "malaise" qu'il faut écrire mais "écoeurement" ou "dégoût". D'autant que les rançons servent à organiser de nouveaux enlèvements dans une sorte de spirale sans fin.

Paul Ink le 19 juin 2005

PS : Le Figaro du 15 juin publie une interview de Bertrand Dufourcq, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay. Il y explique que "nous avions il y a encore dix ans près de 20 000 agents français présents dans le monde pour les missions de coopération culturelle, scientifique ou technique. Aujourd'hui, "grâce" aux coupes drastiques décidées au cours des dernières années, ils ne sont plus que 1500 ! " Le saviez-vous ?

samedi, juin 18, 2005

Pour Blair

"Chaque matin, quand je me réveille, ce qui me frappe le plus, c'est tout simplement la vitesse du changement." (Tony blair)

"Right or wrong, my country" disait Winston Churchill. Je ne vais malheureusement pas être capable de suivre cette belle maxime. Car dans la querelle entre la Grande-Bretagne et la France, j'ai bien la conviction que c'est mon pays qui a tort.

Il y a un débat fondamental derrière le conflit portant sur le montant de la contribution britannique depuis le fameux "I want my money back" de Margaret Thatcher en 1983 ou 4 versus le poids vertigineux de la Politique Agriciole Commune dans le budget européen : 40% si ma mémoire est bonne. En tout cas, je n'ai entendu personne contester l'affirmation de Tony Blair selon laquelle la contribution de la Grande-Bretagne au budget communautaire était deux fois et demi celle de la France. Certes, les égoïsmes nationaux risquent de paralyser durablement l'Europe dont Blair dit qu'elle "court le danger d'être un animal évoluant très lentement dans une jungle pleine d'antilopes." (le Figaro du 15 juin 2005). Mais l'essentiel n'est pas là.

L'essentiel est, bien entendu, dans la manière dont l'Europe peut sortir de la crise provoquée par le double non français et néerlandais. Quelles perspectives les dirigeants politiques doivent-ils dessiner ? Notons tout d'abord le paradoxe suivant : le travailliste Blair, adepte du libéralisme, serait à la droite du conservateur Chirac, partisan du modèle social. C'est du moins ainsi que, majoritairement, les Français présentent l'affaire.

Les Anglais, eux, disent plutôt : le parti du progrès et du mouvement, qui répond aux inquiétudes des européens, "pression de la mondialisation" et questions "de sécurité, de criminalité, d'immigration" (Le Monde en ligne du 19 juin) sans oublier les défis de l'avenir ("Nous devons consacrer notre argent à la science, à la technologie, au savoir-faire, à l'aide aux petites entreprises...") face au conservatisme de ceux qui ne veulent rien changer à un budget qui reflète les priorités des années 60 tout en refusant d'entendre les peurs et les angoisses de leurs concitoyens.

Eh bien, entre les deux thèses, je choisis sans hésiter l'anglaise qui me semble effectivement tracer les voies de l'avenir. Et, au risque d'être accusé de me laisser berner par la propagande de la perfide Albion, je crois qu'il s'agit bien d'un conflit entre le passé et l'avenir, du moins si les européens veulent encore exister sur la scène du monde.

Au reste, la fin de règne de Chirac est désormais patente (est-ce aussi de cela que les électeurs français voulaient s'assurer : pas même la possibilité d'un chantage à un troisième mandat ?) et on pourrait bien assister dans deux ans, après l'élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République, à un rapprochement spectaculaire entre la France et l'Angleterre. D'ailleurs, la constitution européenne est désormais "gelée" au delà de la présidentielle française. Comme le dit Tony Blair : de cette crise pourrait naître un bien. Il faut le souhaiter pour l'homme malade de l'Europe qu'est désormais la France.

Paul Ink le 19 juin 2005

dimanche, juin 12, 2005

Pourquoi le NON ?

Voilà mes premières lignes depuis que le non à la constitution européenne a gagné en France et en Hollande. J'ai été "ouiiste" depuis le début et cette opinion me semblait chaque jour plus fondée à mesure que je comprenais mieux le texte et que j'entendais les arguments des uns et des autres. Comme en atteste mon blog, je savais que le oui perdrait, cela ne faisait plus aucun doute.

Or je commence seulement a posteriori à comprendre ce que le non veut dire. Il peut facilement signifier tout et son contraire et on voit mal comment Jean-Marie le Pen, Philippe de Villiers, Nicolas Dupont-Aignan, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Marie-Georges Buffet et Olivier Besancenot pourraient dire non à la même chose.

En théorie, on devrait pouvoir en dire autant du oui des libéraux (ou faut-il encore les appler gaullistes) et de celui des socialistes dont les idéologies sont a priori incompatibles. Mais précisément de nombreux Français trouvent qu'à l'épreuve de la réalité de ces 24 dernières années (10 mai 81 : on a gagné!) ces deux politiques sont bien semblables. Chacun sait que la France est le pays où la distance entre la gauche et la droite est la plus grande dans les discours et la plus faible dans la réalité. D'où la réapparition dans les urnes, et avec quelle vigueur, d'une gauche "radicale", anti-capitaliste, de rupture, gauche de la gauche etc à côté des "socio-libéraux" du PS. Avec comme cerise sur le gâteau un bel attelage Fabius-Bové et qui donne envie de dire : pincez moi je rêve !

Ce sont donc les minoritaires de ces deux camps à droite comme à gauche qui ont mené la campagne assez démagogique du non et convaincu une majorité de Français. Mais oublions les politiques et tournons nous vers les peuples. Si on ajoute les raisons du non hollandais à celles du non français, on entend quelque chose comme : pourquoi cette folie d'être passé de 15 à 25 sans même nous demander notre avis ? Nous voulons savoir quelles sont les frontières de l'Europe. Non à l'entrée de la Turquie ! Et probablement aussi : l'avenir nous fait peur. Concernant la Hollande, il ne faut pas oublier que l'assassinat de Théo van Gogh a été un électrochoc qui a traversé toute la société et qui, à lui seul, explique le non.

Il y a dans ces craintes et ces refus quelque chose de profondément légitime. Que l'immigration doive être maîtrisée est une absolue nécessité en Europe et des petits pays submergés par les flux migratoires comme les Pays-Bas le savent mieux et plus vite que les grandes nations. Que l'Europe ait besoin de frontières est une nécessité de première importance et un préalable à tout projet qui va au delà du seul "grand marché". Bref, les inquiétudes des peuples sont fondées et on ne parviendra à reprendre la construction européenne que si on donne des réponses à ces questions.

En France, il s'ajoute à tout cela une affaire redoutable : notre incapacité collective à dégripper le fameux modèle social français qui après avoir bien marché pendant les trente glorieuses est devenu au fil des deux dernières décennies, une grande catastrophe économique et sociale. Or le fossé est profond entre ceux qui savent que les seules solutions sont "libérales" et ceux qui veulent plonger dans le cul de sac de l'économie administrée. Nous n'avons peut-être donc pas atteint le fond.

Il est possible que l'échec actuel de la construction européenne ait des conséquences considérables en Europe et pour longtemps. Peut-être pas le démantèlement de l'Euro mais à coup sûr une montée des égoïsmes nationaux, des affrontements incessants sur les questions financières, une suspicion devant toute décision de Bruxelles qui déplairait à tel ou tel pays, bref une paralysie et le risque donc de la déconstruction selon la maxime : qui n'avance pas, recule. .

Mais on ne peut pas faire contre les peuples. Bien-sûr ni les Hollandais ni les Français n'ont répondu à la question qu'on leur posait. Ils ont répondu à un autre question qui a pourtant à voir avec la construction européenne et ils ont manifesté un certain refus de ce que deviennent les pays européens.

Il n'est pas raisonnable, enfin, de faire voter les peuples aussi peu souvent. La dernière fois que les Français ont eu à donner leur avis sur l'Europe c'était en 1992 pour le traité de Maastricht et on se souvient que le non avait failli l'emporter. En treize années tant de choses se sont passées. On en fait donc trop ou trop peu : ou on laisse les parlements entériner une construction européenne qu'ils soutiennent tous ou presque ou on invite les peuples à s'emparer de la question européenne et ils doivent se manifester bien plus souvent. C'est aussi une des leçons de ces deux référendum.

Paul Ink le 12 juin 2005