dimanche, janvier 01, 2006

Cassandre

S’il fallait définir d’un mot l’objet du dernier livre, dense et inspiré, de Thérèse Delpech (1), on pourrait dire qu’il s’agit d’une tentative presque désespérée de sortir les Européens de leur sommeil dogmatique et de leur volonté farouche d’oubli du XX° siècle et de ses horreurs. Il s'accompagne d'un refus têtu d’affronter les menaces nouvelles, en particulier en Asie qui, contrairement à l’Europe, n’a pas soldé les comptes de la deuxième guerre mondiale. Et ce désir, après tant de guerres sur le continent européen, de « provincialisme » qui parvienne à les tenir, comme par miracle, à l’abri du bruit et de la fureur du monde, elle le dénonce comme une funeste illusion.

En un certain sens, « L’ensauvagement » est le développement d’une phrase de « Politique du chaos », son livre précédent (2), et dans lequel elle écrivait ceci : « L’apologie du meurtre au siècle dernier pèse encore sur les esprits plus que nous ne sommes prêts à le reconnaître. » (15). Citant Carl Jung,, elle insiste sur le fait qu’en Russie et plus encore en Chine, rien n’a été tenté pour qu’advienne un travail de vérité et de deuil devant les massacres et les horreurs tandis que nous assistons, passifs, au goulag nord-coréen. « Il aurait suffi – écrit-elle – de lire quelques lignes de Varlam Chalamov ou d’Andrei Siniavski pour comprendre qu’on ne s’en tirerait pas à si bon compte , le siècle passé étant allé trop loin dans la souffrance humaine et dans la destruction de l’humanité ; » (20).

Mais Thèrèse Delpech ne s’intéresse pas qu’au passé. Si le titre n’était déjà pris, son livre aurait pu s’intituler « Between past and future » (3). Et son admiration va pour Tocqueville, Valéry ou Orwell qui ont vu venir avec une lucidité souvent bien solitaire les drames et les guerres. Elle consacre un long chapitre à l’année 1905 qui était déjà lourde, pour peu qu’on sache en lire les signes, de menaces redoutables. Elle tente de faire entendre aux Européens les menaces d’aujourd’hui. Et elle n’hésite pas à comparer notre époque à celle qui précéda la Grande Guerre ou aux années 30.

De même que nous, les Européens, avons impliqué par deux fois le monde dans la guerre, nous aurions tort de penser que les enjeux qui se dessinent dans la lointaine Asie ne nous concernent pas : « Nous avons entraîné le monde dans nos guerres. Il nous entraînera dans les siennes. » (15). Et de fustiger les « lâches avertissements » (45) adressés à Taïwan plutôt qu’à la Chine quand, dans cette région, « est la question stratégique la plus dangereuse. C’est même probablement la plus périlleuse de la planète ».

Il existe en effet un accord de défense entre Taïwan et les Etats-Unis, ce qui signifie qu’il est impensable que les Américains laissent, sans sourciller, leur allié se faire envahir par une Chine chaque jour plus puissante et plus menaçante. La sagesse et l’intérêt bien compris des Européens serait donc de ne pas mettre d’huile sur le feu face à une Chine qui rêve de venger les humiliations du XIX° siècle. Et de fustiger l’attitude irresponsable d’un Gerhardt Schröder, « Monsieur Auto » comme on l’appelle là-bas, qui en 2004 déclare à Pékin que la Chine pouvait faire ce qu’elle voulait de Taipei.(83). « L’incompréhension de ces problèmes en Europe est totale » assène Thérèse Delpech.

Elle n’est pas non plus tendre avec la diplomatie française faisant remarquer : « Quand on parle de multipolarité au XXI° siècle, on oublie donc l’expérience européenne où l’équilibre des puissances n’a cessé d’échouer pour basculer dans la guerre. » (229)

Ces quelques lignes donnent un pâle idée d’un livre ambitieux et profond, l’un de ces ouvrages dont on a l’étrange certitude qu’il fera date et ne sera pas, sitôt publié, balayé par le tourbillon du quotidien. Certains reprocheront à Thérèse Delpech son ton volontiers péremptoire. Ils lui feront, sans peut-être le savoir, le plus beau des compliments. Car ce reproche était déjà fait, en son temps, à une femme avec qui, par l’étendue de son savoir et l’exigence de sa pensée, elle a de mystérieuses affinités, Hannah Arendt.

Paul Ink le 1° janvier 2006

(1) Thérèse Delpech, L'ensauvagement, le retour de la barbarie au XXI° siècle, 2005, Grasset
(2) Thérèse Delpech, Politique du chaos, l'autre face de la mondialisation, Seuil, 2002
(3) Hannah Arendt, traduction française « La crise de la culture » , Gallimard 1972, réédition folio essais

4 Comments:

At 26 janvier 2006 à 22:55, Blogger L.elie.13 said...

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At 28 juillet 2007 à 13:53, Anonymous Anonyme said...

La guerre économique fait rage.Combien de produits dans notre quotidien Made in Thaïlande ou autre ? Viennent -ils de l'EMPIRE du Milieu . Les chinois sont racistes et ne font aucun cas de la vie.Ils sont une menace pour toutes nations,peuples,races et langues et même ennemies de toute vie ! Dans 30 ans à coup sur !La dernière guerre mondiale,auprès de laquelle tous ce que nous avons connus ne sera plus qu'une aimable répétition.La patate c'est devant qu'elle se prend ,non derrière!Malheur à ceux qui vivront ces jours où nous ne serons plus Paul...La fin des temps un mythe ? Dans 30 ans à coup sûr la guerre avec la Chine ! J'ai dit !
Courtoisement,
L.elie.13 toujours fidèle à lesmaledictions ! et c'est par affection et respect que je ne vous souhaite pas "Bonne année "

 
At 28 juillet 2007 à 13:54, Blogger Paul Ink said...

Bonne année à toi Henry et merci pour tous les textes que tu me donnes et qui alimentent mes ruminations.

 
At 28 juillet 2007 à 13:55, Anonymous Anonyme said...

Bonne année Paul, merci pour l'accompagnement de pensée dans le monde post 9/11.Henry.

 

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