mercredi, février 02, 2005

La question du cannabis

Le cannabis est aujourd'hui partout dans les médias alors que le gouvernement lance une grande campagne de sensibilisation sur les risques liés à sa consommation intitulée "le cannabis est une réalité". Ce titre, bizarrement factuel, montre combien la situation a changé ces dix ou quinze dernières années.

Lorsque j'ai commencé à intervenir dans le débat public sur les drogues, au début des années 90, le discours habituel sur le cannabis était de "diabolisation". J'utilise d'autant plus volontiers le mot que c'est nous, je veux dire nous les activistes de l'époque, qui l'avons imposé. Et c'était une grande victoire. Nous ajoutions d'ailleurs : "se tenir à égale distance de l'apologie et de la diabolisation". Mais nous avions surtout tendance à diaboliser la diabolisation.

A l'époque, tout allait dans le même sens, celui d'un changement des politiques en matière de cannabis : la question centrale, pour nous et nous avions raison, était celle du sida chez les injecteurs de drogues et nous dénonçions le temps perdu à prendre en charge (du côté médico-social) ou à réprimer (du côté policier) le cannabis. Ce sentiment était renforcé par le fait que deux pays européens menaient alors une politique éclairée en matière de cannabis : la Hollande et la Suisse. Dés 1976, les Pays-Bas avaient modifié leur législation pour faire de la question du cannabis une "faible priorité", en distinguant drogues douces et drogues dures. Et la Suisse avait l'intention à la fin des années 90 de modifier profondément sa législation datant de 1975 pour aller vers une quasi-légalisation du cannabis à la condition qu'il soit réservé aux Suisses majeurs : pas de tourisme de la drogue et pas de vente aux mineurs.

Pourquoi les Suisses voulaient-ils aller au delà de la politique hollandaise dite de séparation des deux marchés et qui tolérait les "coffee shops" ? A cause de ce que les spécialistes appellent le "back door problem". De quoi s'agit-il ? Les Hollandais, contrairement à une légende tenace, n'ont jamais légalisé le cannabis. Pour ce faire, ils auraient d'ailleurs dû dénoncer les conventions internationales qu'ils ont signé et cette dénonciation aurait fait grand bruit. Ils ont seulement toléré que les coffee-shops vendent de petites quantités de cannabis (herbe ou haschisch), quantités qui ont d'ailleurs varié avec le temps, à la condition qu'aucune drogue dure ne soit proposée dans le coffee shop. L'objectif était le suivant : quelqu'un qui veut se procurer un peu de cannabis doit pouvoir le faire sans se voir proposer de l'héroïne ou de la cocaïne. Il faut séparer le marché des drogues douces de celui des drogues dures. Mais d'où vient le cannabis des coffee-shops ? Du marché clandestin ! C'est la raison pour laquelle les adversaires des coffee-shops disaient que nombre d'entre eux étaient tenus en sous-main par des mafias, par exemple turque, et que les bénéfices faits avec le cannabis pouvaient parfaitement être réinvestis dans le trafic de drogues dures. Bref, que cette histoire de coffee shop était une fumisterie.

Fort de ces données, les Suisses étaient sur le point de tolérer que des planteurs de chanvre commercialisent dans des magasins de "chanvre global" toutes sortes de produits issus du cannabis y compris les sommités fleuries riches en THC (herbe) ou la résine (haschisch). Ainsi ce ne serait pas une production clandestine tenue par des groupes criminels mais un cannabis légal ou quasi-légal qui serait vendu dans ces magasins. Exit le back door problem !

Nous avions donc l'espoir de voir la politique européenne en matière de cannabis sortir de la prohibition et de ses effets pervers : trafic tenu par des groupes criminels, violence, corruption etc. Nous jugions par ailleurs le cannabis comme une drogue nettement moins dangereuse que l'alcool. Bref, l'avenir radieux était à portée de main. Nous nous étions trompés.

Que s'est-il passé ? L'explosion de la consommation de cannabis de ces dix dernières années a prioritairement concerné les jeunes et les très jeunes : très embarrassant !Car personne ne soutiendra qu'il est sans importance qu'un enfant de treize ou quatorze ans fume des joints par exemple le matin sur la route du collège. D'abord parce que fumer quoi que ce soit à cet âge est une très mauvaise idée. Ensuite parce que la scolarité en prend un coup. Et que le "bizeness" peut n'être pas loin. Enfin parce que conduire son deux roues sous cannabis surtout si on a bu une bière est dangereux pour soi et pour les autres (et les études montrent que ce sont les mêmes jeunes qui fument du tabac et boivent de l'alcool qui consomment du cannabis).Ajoutons, pour faire bonne mesure, que certaines études qu'on ne peut balayer d'un revers de main montrent des liens inquiétants entre consommation de cannabis et certains troubles mentaux. Proportionnellement faible, le nombre de personnes concernées cesse d'être négligeable lorsque la consommation se généralise.

Ensuite, les espoirs que nous avions mis dans les politiques hollandaise et suisse se sont effondrés. Ces deux pays ont basculé à droite : le modèle hollandais est remis en cause et la loi suisse selon toute probabilité ne sera pas changée. Dans ces deux pays les questions d'insécurité et d'immigration ont joué un rôle crucial dans le basculement de l'opinion publique. On peut en tirer deux conclusions : la première, c'est que les politiques de drogues dépendent des politiques en général et sont donc à la merci de ce cadre plus large s'il vient à changer; la seconde, c'est que les questions d'insécurité, de drogues et d'immigration entretiennent des liens complexes et qu'on aurait tort de penser que l'opinion publique ne les voit pas. Il ne s'agit pas comme le FPÖ de Haider de crier : "A bas les dealers africains !". En revanche, refuser de voir la réalité sous prétexte qu'elle est dérangeante ne peut mener qu'à des défaites.

Enfin, la question du sida parmi les injecteurs n'est plus au coeur du débat public sur les drogues. On ne peut que s'en féliciter : c'est une grande victoire de la politique dite de "réduction des risques" (accès aux seringues propres, traitements de substitution à l'héroïne...). Mais dans un tel contexte la question du cannabis redevient d'actualité. Avec le paradoxe suivant : la loi française pénalise l'usage simple (c'est à dire ne s'accompagnant pas de trafic) de drogue y compris de cannabis d'une peine allant jusqu'à un an de prison ferme. En pratique, la loi ne peut être appliquée. Cela ne veut pas dire que les consommateurs de joints ne risquent rien. Mais que l'usage s'est considérablement banalisé.

Dans ce contexte, le gouvernement ne modifiera pas la loi du 31 décembre 1970 de peur, en dépénalisant l'usage, de donner le mauvais message à la jeunesse. Lionel Jospin avait renoncé à modifier la loi pour éviter que s'affontent ceux qui dans la gauche plurielle étaient hostiles à la dépénalisation de l'usage et les Verts qui risquaient de faire de la surenchère dans l'autre sens. Pour des raisons inverses, c'est à dire identiques, le gouvernement Raffarin n'a pas voulu que l'aile la plus dure de la majorité demande au Parlement une loi ferme et applicable. L'opinion publique, quant à elle, est déboussolée mais le sentiment qui domine, alors même que la lutte contre le tabagisme a pris de la vigueur, c'est qu'on fume trop de cannabis et trop jeune.

Les politiques de drogues avancent lentement. L'argument de ceux qui prétendent qu'il est absurde d'ajouter à ces deux poisons légaux que sont le tabac et l'alcool un troisième poison, le cannabis, reste très difficile à contredire. Il est malheureux que le changement de discours sur le cannabis et qui a concerné les médias et les experts (voir le rapport de Bernard Roques en 1998) se soit accompagné d'une explosion de la consommation donnant le sentiment que les deux évènements étaient liés et que l'un était la conséquence de l'autre. Car le problème d'une loi raisonnable et applicable reste entier.

Paul Ink le 2 février 2005

5 Comments:

At 6 février 2005 à 16:58, Anonymous Anonyme said...

"Face à la banalisation de la consommation de cannabis, j'ai longtemps eu le sentiment de ramer à contre-courant. La mode était à l'indulgence, à la compréhension, voire à la dépénalisation des drogues dites douces. Il ne fallait pas se mettre les jeunes à dos! Combien de fois j'ai bataillé en vain dans des discussions animées où je me trouvais souvent isolé! Ringard! C'était "l'argument" imparable."
al1juP DIXIT

 
At 6 février 2005 à 17:43, Anonymous Anonyme said...

Quelques chiffres pour complèter cet excellent article:

Estimation du nombre de consommateurs quotidiens de cannabis chez les 14-18 ans en France : 120 000 individus environ.
Soit 6,8% des filles et 17,7% des garçons ont fait un usage régulier de cannabis en 2002.
(par usage régulier, on entend au moins 10 consommations de cannabis par mois.)
source OFDT.

 
At 6 février 2005 à 20:22, Anonymous Anonyme said...

Vous dites :
"certaines études qu'on ne peut balayer d'un revers de main montrent des liens inquiétants entre consommation de cannabis et certains troubles mentaux"

Je me permets de citer ce remarquable travail:
Aspects psychiatriques de la consommation de cannabis
Information Psychiatrique. Numéro 79, volume 3, 207-13, Mars 2003, SOCIÉTÉ ET DÉPENDANCES
Texte intégral Summary
Auteur(s) : Xavier Laqueille, Amine Benyamina, Mustapha Kanit, Alain Dervaux
Résumé : Les auteurs présentent, à partir d’une synthèse bibliographique, les effets et méfaits du cannabis. Ils insistent sur les complications psychiatriques de l’ivresse cannabique et posent les questions des relations de ce produit avec les troubles schizophréniques. Ils abordent enfin les déterminants socio-psychopathologiques de l’abus et de la dépendance.
B.P SCHOEPFLIN le 6 février 2005

 
At 3 novembre 2005 à 06:30, Anonymous Anonyme said...

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At 3 novembre 2005 à 07:48, Anonymous Anonyme said...

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