dimanche, juin 12, 2005

Pourquoi le NON ?

Voilà mes premières lignes depuis que le non à la constitution européenne a gagné en France et en Hollande. J'ai été "ouiiste" depuis le début et cette opinion me semblait chaque jour plus fondée à mesure que je comprenais mieux le texte et que j'entendais les arguments des uns et des autres. Comme en atteste mon blog, je savais que le oui perdrait, cela ne faisait plus aucun doute.

Or je commence seulement a posteriori à comprendre ce que le non veut dire. Il peut facilement signifier tout et son contraire et on voit mal comment Jean-Marie le Pen, Philippe de Villiers, Nicolas Dupont-Aignan, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Marie-Georges Buffet et Olivier Besancenot pourraient dire non à la même chose.

En théorie, on devrait pouvoir en dire autant du oui des libéraux (ou faut-il encore les appler gaullistes) et de celui des socialistes dont les idéologies sont a priori incompatibles. Mais précisément de nombreux Français trouvent qu'à l'épreuve de la réalité de ces 24 dernières années (10 mai 81 : on a gagné!) ces deux politiques sont bien semblables. Chacun sait que la France est le pays où la distance entre la gauche et la droite est la plus grande dans les discours et la plus faible dans la réalité. D'où la réapparition dans les urnes, et avec quelle vigueur, d'une gauche "radicale", anti-capitaliste, de rupture, gauche de la gauche etc à côté des "socio-libéraux" du PS. Avec comme cerise sur le gâteau un bel attelage Fabius-Bové et qui donne envie de dire : pincez moi je rêve !

Ce sont donc les minoritaires de ces deux camps à droite comme à gauche qui ont mené la campagne assez démagogique du non et convaincu une majorité de Français. Mais oublions les politiques et tournons nous vers les peuples. Si on ajoute les raisons du non hollandais à celles du non français, on entend quelque chose comme : pourquoi cette folie d'être passé de 15 à 25 sans même nous demander notre avis ? Nous voulons savoir quelles sont les frontières de l'Europe. Non à l'entrée de la Turquie ! Et probablement aussi : l'avenir nous fait peur. Concernant la Hollande, il ne faut pas oublier que l'assassinat de Théo van Gogh a été un électrochoc qui a traversé toute la société et qui, à lui seul, explique le non.

Il y a dans ces craintes et ces refus quelque chose de profondément légitime. Que l'immigration doive être maîtrisée est une absolue nécessité en Europe et des petits pays submergés par les flux migratoires comme les Pays-Bas le savent mieux et plus vite que les grandes nations. Que l'Europe ait besoin de frontières est une nécessité de première importance et un préalable à tout projet qui va au delà du seul "grand marché". Bref, les inquiétudes des peuples sont fondées et on ne parviendra à reprendre la construction européenne que si on donne des réponses à ces questions.

En France, il s'ajoute à tout cela une affaire redoutable : notre incapacité collective à dégripper le fameux modèle social français qui après avoir bien marché pendant les trente glorieuses est devenu au fil des deux dernières décennies, une grande catastrophe économique et sociale. Or le fossé est profond entre ceux qui savent que les seules solutions sont "libérales" et ceux qui veulent plonger dans le cul de sac de l'économie administrée. Nous n'avons peut-être donc pas atteint le fond.

Il est possible que l'échec actuel de la construction européenne ait des conséquences considérables en Europe et pour longtemps. Peut-être pas le démantèlement de l'Euro mais à coup sûr une montée des égoïsmes nationaux, des affrontements incessants sur les questions financières, une suspicion devant toute décision de Bruxelles qui déplairait à tel ou tel pays, bref une paralysie et le risque donc de la déconstruction selon la maxime : qui n'avance pas, recule. .

Mais on ne peut pas faire contre les peuples. Bien-sûr ni les Hollandais ni les Français n'ont répondu à la question qu'on leur posait. Ils ont répondu à un autre question qui a pourtant à voir avec la construction européenne et ils ont manifesté un certain refus de ce que deviennent les pays européens.

Il n'est pas raisonnable, enfin, de faire voter les peuples aussi peu souvent. La dernière fois que les Français ont eu à donner leur avis sur l'Europe c'était en 1992 pour le traité de Maastricht et on se souvient que le non avait failli l'emporter. En treize années tant de choses se sont passées. On en fait donc trop ou trop peu : ou on laisse les parlements entériner une construction européenne qu'ils soutiennent tous ou presque ou on invite les peuples à s'emparer de la question européenne et ils doivent se manifester bien plus souvent. C'est aussi une des leçons de ces deux référendum.

Paul Ink le 12 juin 2005