dimanche, janvier 30, 2005

Sur la crise des sociétés européennes (3)

Il y a dix ans, en 1995, la France découvre qu’un jeune issu de l’immigration, né en Algérie mais vivant à Vaulx-en-Velin depuis son enfance, a dirigé une cellule terroriste liée au GIA algérien et commis une série d’attentats qui ont ensanglanté le pays. En particulier une bombe explose dans le RER à la station Saint-Michel et fait 8 morts le 25 juillet. Khaled Kelkal est tué, pratiquement sous les caméras de la télévision, deux mois plus tard le 29 septembre dans les environs de Lyon . Il a 24 ans.

A l’époque, c’est la stupeur et l’inquiétude. Le Monde publie un article dans lequel est développée l’idée suivante : ce que nous redoutions tant a fini par arriver : la jonction entre des jeunes issus de l’immigration et le terrorisme. Quelques jours plus tard le journal publie un long entretien de Khaled Kelkal avec un sociologue allemand Dietmar Loch qui l’avait interviewé 3 ans avant ces évènements en 1992 dans le cadre d’une étude sur l’intégration des étrangers en France.

Finalement les craintes du Monde vont s’avérer infondées : la France ne va pas basculer dans le racisme anti-arabe comme le journal le craignait. Preuve d’ailleurs que ce supposé racisme est bien moins partagé que ne le croit.le journal. C’est pourtant lui qui justifie, aux yeux du quotidien vespéral, l’euphémisation systématique de tout ce qui pourrait rendre l’immigration issue du Maghreb moins aimable qu’elle ne doit être. Il s’agit tout à la fois d’affirmer qu’elle est numériquement peu importante et qu’elle subit vexations et discriminations de toutes sortes, bref que l’on a affaire et uniquement affaire à des victimes. Après l’affaire Kelkal une telle posture devient beaucoup plus difficile. Le basculement de Khaled Kelkal dans le terrorisme marque la limite tout à la fois du déni de réalité (l’immigration arabo-musulmane ne pose pas de problèmes à la société française) et de la sociologie compassionnelle (c’est parce qu’ils sont victimes de discriminations et de racisme que les « jeunes » basculent dans la délinquance hier, dans le terrorisme aujourd’hui). Dans le même temps, elle fait apparaître aux yeux de certains jeunes beurs un nouveau type de héros qui meurt les armes à la main non comme un braqueur minable mais comme un glorieux combattant. Bref, si les évènements de 1995 sont importants, c’est parce qu’ils marquent une limite : c’en est désormais fini de l’irénisme, une autre histoire commence.

Après de sérieuses études primaires et secondaires, Kelkal qui fréquente un bon lycée commence à commettre des vols (recel de voitures volées, vols à la voiture bélier) et se retrouve en prison. Pourquoi est-il devenu délinquant ? Immense question ! Est-ce pour faire comme son frère aîné Nouredine ? Est-ce, comme il le dit, parce qu’il souffre de discrimination dans sa classe ? Est-ce parce que dans les cités la délinquance est devenue pour les jeunes maghrébins un « conformisme déviant »? On n’a en tout cas que deux possibilités : soit insister sur la banalité de l’itinéraire de Kelkal jusqu’à ce qu’il devienne un islamiste radical mais il faut alors accepter cette idée, politiquement très incorrecte, que la délinquance fait partie de l’itinéraire habituel de nombreux jeunes de cités soit s’interroger sur ce qu’une certaine délinquance signifie non pas seulement comme manière illégale de gagner sa vie mais comme violence et haine de la société et comment cette délinquance peut tisser des liens avec la haine anti-occidentale qui est au cœur de l’intégrisme islamique et faire le lit du terrorisme.

Quoi qu’il en soit, il arrive à Kelkal ce qui va arriver à certains délinquants arabes, français ou pas : en prison : il va rencontrer l’islam. Et l’on tombe sur le deuxième tabou. Le premier, c’était la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration, le second c(est le fait que les prisons françaises sont, à partir du début des années 90, largement devenues ethniques et que les djihadistes y font un travail systématique de recrutement auprès des jeunes délinquants. Une situation qui en dix ans a peu changé : d’après le livre de Roland Jacquard et Atmane Tazaghart, « Ben Laden, la destruction programmée de l’Occident » (éditions Jean Picollec, 2005), le principal danger de la nébuleuse al Qaïda en France se trouve dans les prisons.

Dix ans après l’affaire Kelkal, l’opinion publique a appris à vivre avec ce fait étrange : la société française produit des terroristes, nés et élevés en France, et prêts à mourir pour leurs idées. Elles se caractérisent en particulier par une haine farouche de la société occidentale et de ses valeurs. Chaque jour ou presque, apporte son lot d’informations. Aujourd’hui par exemple (samedi 29 janvier 2005), on apprend le démantèlement par la DST d’un réseau de jeunes combattants habitant le XIX° arrondissement à Paris et qui vont combattre les Américains en Irak. Certains sont morts là bas. Ceux qui reviendront auront participé à des actes d’une effrayante cruauté et recommenceront à vivre parmi des européens pacifistes et conciliants tandis que leur cœur débordera de haine.

Paul Ink le 30 janvier 2005