mardi, janvier 04, 2005

Une catastrophe pour l'humanité

Le tsunami qui a dévasté l'Asie du sud n'était inscrit sur aucun agenda. Il a semblé d'autant plus cruel qu'il s'est moqué de la fragile trêve que les hommes respectent plus ou moins entre Noël et le jour de l'An. Mais il présente surtout une caractéristique absolument singulière et qui en fait dés à présent un immense évènement : la première catastrophe naturelle de l'ère de la mondialisation.

Les plages de Thaïlande sont dévastées et c'est la Suède qui est en état de choc. Et avec elle, la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et tant d'autres pays d'Europe. Certes, quantitativement, les quelques milliers de victimes occidentales ne peuvent se comparer aux dizaines de milliers de morts indonésiens, sri-lankais ou indiens. Et on peut aussi ajouter que les occidentaux étaient dans leur immense majorité des touristes qui, lorsqu'ils ont échappé à la mort, ont regagné leurs foyers tandis que les pêcheurs de Sumatra restent au milieux des gravats et des cadavres. Et tout cela est vrai. Mais n'efface pourtant pas le fait que chacun, sur cette terre, a pu se sentir concerné par cette catastrophe et son lot de malheur et de souffrance, qu'elle a touché les gens du Nord comme ceux du Sud, les riches comme les pauvres et que les hommes ont, pendant quelques jours, ressenti profondément qu'ils vivaient sur la même terre et que l'humanité était bien une.

Il faut imaginer qu'on tirera de vastes conséquences de ce qui vient d'arriver. Tout d'abord, et quelle que soit la bonne volonté des ONG, la communauté internationale doit construire un outil d'intervention humanitaire d'urgence qui soit à la hauteur de catastrophes de cette ampleur. C'est une tâche immense mais absolument nécessaire. De ce point de vue, la démarche provocatrice de MSF, faisant savoir à ses donateurs qu'elle n'avait plus besoin d'argent, est peut-être salutaire si elle signifie que la grenouille ne peut, dans l'improvisation, se faire aussi grosse que le boeuf. Ensuite, il n'est pas concevable que l'océan indien ne dispose pas, à terme, d'un système d'alerte comme celui qui, avec plus ou moins de succès, fonctionne dans le Pacifique. Et ce serait l'intérêt et la dignité des Européens de participer au financement d'un tel outil. Enfin, il va falloir se projeter dans l'avenir. Mais reconstruire à l'identique ? Qui pourrait sérieusement y songer ? Cela signifie qu'il y aura entre les populations ou certaines d'entre elles et les gouvernements des divergences profondes et qui devront, d'une manière ou d'une autre, être tranchées. Ce pourrait aussi être l'occasion de développer, Bernard Kouchner l'évoquait hier sur TF1, l'outil du micro-crédit et d'inventer de nouvelles façons de coopérer.

On me reprochera de dire cela dans le confort de ma vie parisienne mais il y a peut-être au coeur de ce drame terrible une immense leçon pour l'humanité, une leçon à l'échelle exacte des enjeux que nous devons affronter non plus seulement comme nation ou même comme civilisation mais comme espèce. Si l'idée d'un gouvernement mondial, comme l'ont noté de nombreux philosophes, pourrait aussi être celui du plus grand des despotismes, celle d'une gouvernance mondiale sur des questions comme l'environnement, les catastrophes naturelles voir la démographie pourrait finir par s'imposer. Et le séïsme du 26 décembre 2004 marquerait alors le moment où la molle utopie sera devenue ardente obligation.

Paul Ink