dimanche, janvier 30, 2005

L'islamisme est-il un nouveau totalitarisme ?

J’ai lu le livre de Paul Berman, "Les habits neufs de la terreur", et décidément l’idée que le « totalitarisme islamique » a quelque chose à voir ou relève, même en partie, d’une logique qui est celle des totalitarismes du XX° siècle me semble fausse. Simplement, je ne parviens pas à savoir si cette fausseté a des conséquences politiques néfastes. On pourrait, après tout se dire que l’essentiel est de comprendre que le terrorisme islamique nous a déclaré une guerre à mort à nous occidentaux, chrétiens, juifs, incroyants, qu’il est une « menace stratégique » ce que ni Emmanuel Todd qui parle d’Al Qaïda comme de d’une bande de fous géniaux ni Julliard n’acceptent de penser. S’ils acceptaient cette idée fondamentale, ils liraient les évènements avec d’autres lunettes.

Je n’ai pas encore lu le papier de Stéphane Courtois dans "Irak an I, un autre regard sur un monde en guerre", mais je sais qu’il défend lui aussi cette thèse. Je vais donc commencer par expliquer pourquoi elle ne me parait pas autre chose qu’une métaphore très vague et qui loupe plusieurs des caractéristiques essentielles de l’islamisme.

La première, et c’est bien la première par son importance, celle qui au final pèse le plus lourd a tout simplement à voir avec le temps des hommes c'est-à-dire avec l’histoire. Le nazisme et le stalinisme sont des idéologies récentes et, on peut se contenter de remonter aux Lumières sans que l’essentiel échappe véritablement à la compréhension. Pour simplifier, on peut dire que le marxisme et donc, au moins dans sa littérature de propagande, le stalinisme se reconnaît dans l’exacerbation des Lumières raison pour laquelle, la période soviétique des années trente a été désignée par un mot, lui-même directement issu de la Révolution Française : la Terreur. Le nazisme est une idéologie complexe et ses sources sont multiples. Je voudrais me contenter de remarquer que ce mouvement est largement lié à une haine farouche des mêmes Lumières comme le montre, me semble-t-il de manière convaincante Zeev Sternhell pour la « droite révolutionnaire » en général. Si les fascinations réciproques entre les deux régimes n’ont pas manqué, les nazis admirant la brutalité farouche et sans états d’âme de la dictature bolchevik, et les staliniens la capacité du mouvement (bewegung) nazi à mobiliser la technique pour ses entreprises de guerre et de conquête, l’un se voulait l’héritier des Lumières, l’autre celui de la réaction violente à l’Aufklärung. Dans les deux cas, on est sur une période de 200 ans environ.

Examinons maintenant le fondamentalisme islamique. On peut bien entendu soutenir qu’il est né d’une réaction au monde moderne et en particulier au colonialisme européen. Mais, contrairement au panarabisme, il s’est d’emblée situé dans un refus absolu de toute cohabitation avec l’idéologie moderne. D’où sa montée en puissance après 1967 et la défaite face à Israël des armées arabes sous la conduite de Nasser. Cela étant, il faut bien revenir à la source de l’inspiration islamiste et djihadiste et cette source est un livre vieux de 13 siècles. Ce n’est pas une idéologie moderne, que ce soit l’exaspération « russe » du blanquisme léniniste ou l’étrange bric à brac du nazisme, ce patchwork d’obsession de la race aryenne et de « compétition » avec les Juifs pour l’ « élection » (Hannah Arendt), de culte de la technique, de polythéisme barbare et anti-chrétien etc.

On peut toujours soutenir que nazisme et communisme ont été des « religions séculières » porteuses d’une eschatologie terrestre, on peut insister sur le fait que, chacune à leur manière, elles étaient farouchement antichrétiennes. Mais leurs racines ne plongent pas profondément dans ce qui fait l’essentiel de la vie des peuples, raison pour laquelle il a été possible de les vaincre assez vite à l’échelle historique. De ce point de vue, même le communisme constitue une parenthèse dans l’histoire. Douze ans d’un côté pour le Reich de mille ans (1933-45), 72 ans de l’autre (1917-89) pour le « socialisme réel ». Le régime communiste a duré six fois plus longtemps que le régime nazi et ils ont à eux deux rempli le XX° siècle.

Sans confondre, O grands Dieux, Islam et islamisme, je ne vois pas bien ce que l’on peut comprendre au second sans partir du premier même si l’on répète ad nauseam, au cas où il y aurait quelques doutes là-dessus, que l’Islam est une religion de grande tolérance. Certes on peut toujours soutenir que l’on ne comprendra jamais rien au marxisme et donc au stalinisme si l’on ne part pas des Grecs ou que le nazisme suppose que l’on replonge dans l’histoire des Dieux Germains mais c’est surtout un argument rhétorique. En revanche, rien de l’islamisme n’est compréhensible si l’on ne revient pas au monothéisme ombrageux né il y a treize siècles.

Il y a eu de longs débats sur le fait de savoir si l’Islam avait tranché la question théologico-politique et rendu à César ce qui est à César. En tout cas, il est indissociablement culture, politique et religion. Autre manière de dire que même si l’Islamisme radical est un mouvement minoritaire, la guerre qu’il mène à l’Occident peut durer très longtemps. Son projet fondamental est la renaissance du califat, aboli en 1924 par Atatürk, puis, à partir de la puissance reconstituée de la communauté des croyants, la domination de la terre.

On se pose aujourd’hui la question de savoir si Al Qaïda est un nouveau Komintern. La métaphore totalitaire a donc la peau dure. Le point commun ce sont ces cercles concentriques qui vont de la ré-islamisation au rigorisme puis à l’agitation religieuse et enfin au terrorisme djihadiste tout comme le communisme disposait en Europe d’associations regroupant des compagnons de route, des militants zélés et enfin un cercle étroit de chefs politiques. Pourtant, les groupes terroristes très décentralisés quasi-autonomes et « franchisés » Al Qaïda comme dit Olivier Roy ont peu à voir avec la hiérarchie hypercentralisée du Komintern et son état-major moscovite de la Révolution Mondiale.

Pour les staliniens, comme pour Fouché « la mort est un sommeil éternel ». Au contraire pour les islamikases, « la vie commence après la mort ». Deux conceptions aussi antinomiques de l’existence devraient avoir d’immenses conséquences. Les athées, précisément parce qu’ils ne croient pas aux arrière-mondes pourraient avoir un respect presque absolu pour le caractère unique et précieux de la vie, ce que ne démontre pas exactement la Kolima mais qui faisait dire cyniquement à Staline ; « l’homme, le capital le plus précieux ». Les pieux adeptes d’ »Allah, le clément, le miséricordieux » tuent avec une froide préméditation 100% de civils et sont prêts demain à utiliser n’importe quelle arme de destruction massive, chimique, biologique, nucléaire, pour leur entreprise nihiliste.

Cette dernière caractérisation fait de cet ennemi le plus farouche que l’Occident ait jamais eu à affronter. Certes ils n’ont pas d’autre projet politique que la destruction et le carnage mais ils sont habités si absolument par cette passion destructrice que TOUT peut arriver. On n’avait pas affaire avec les staliniens à des ennemis aussi redoutables. Ils avaient finalement quelque chose à perdre et c’était précisément la patrie du socialisme. Quant au nazisme, qui a perpétré le plus grand des crimes, il a pu être vaincu militairement car sa base restait nationale. Ce n’est nullement le cas de l’islamisme radical qui a essaimé sur toute la planète et constitue, comme dit Thérèse Delpech, « l’autre face de la mondialisation ».

Paul Ink