dimanche, janvier 16, 2005

Le temps qui passe

Si un bon film donne le sentiment du temps qui passe et donc celui de la transformation et parfois même de la métamorphose, alors "Tu marcheras sur l'eau" du réalisateur israélien Eytan Fox est un bon film. Les acteurs sont bons, la mise en scène efficace et le scénario excellent. L'histoire commence à Istambul où un agent du Mossad tue en lui injectant une substance toxique un responsable palestinien devant la femme et le tout jeune fils de ce dernier. De retour en Israël, le tueur, héros du film, est fêté. Il rentre chez lui et découvre sa femme morte. Elle lui a laissé une lettre dont on ne connaîtra le contenu que beaucoup plus tard mais il est clair qu'elle s'est suicidée.

C'est alors que son supérieur hiérarchique lui demande de bien vouloir jouer le rôle d'un accompagnateur pour un jeune allemand qui vient voir sa soeur. Elle vit dans un kibboutz et, à cause des risques liés aux attentats, s'inquiéte de la venue de son frère qui ne connait pas Israël. Or le grand-père de ces deux jeunes gens a été un dignitaire nazi qui a commis des crimes contre les Juifs pendant la guerre et on a des raisons de penser qu'il est toujours vivant et pourrait même réapparaitre en Allemagne à l'occasion des 60 ans de son fils. Et c'est ainsi que le héros rencontre le frère et la soeur et que commence une étrange histoire entre Eyal, cet israélien sombre macho et hétéro et Axel, cet allemand gai, doux et homo. Ils jouent en quelque sorte à fronts renversés. L'ambiguité sexuelle irrigue le récit pour culminer dans la scène où Eyal sanglote dans les bras d'Axel.

Le film parle de ce que sont devenus les Allemands et de l'histoire qu'ils ont à assumer, il donne à voir le gouffre qui peut séparer un grand-père de son petit-fils en quelques décennies, pas grand chose à l'échelle de l'histoire, il évoque la vie en Israël avec les attentats terroristes. Le temps qui passe c'est celui de l'histoire, la grande, le temps de ceux qui ont vécu la guerre, de ceux qui sont nés juste après, de ceux enfin qui ont aujourd'hui trente ou quarante ans. Et puis il y a un homme que le suicide de sa femme a changé et qui ne peut plus ni ne veut plus tuer. Et que la rencontre avec deux jeunes Allemands, un frère et une soeur, va transformer.

L'agent du Mossad a été choisi parce qu'il parle allemand, ses parents sont d'origine allemande. Et l'on songe à l'histoire cruelle des Juifs avec l'Allemagne. Les Juifs, après l'émancipation, sont devenus passionnément amoureux de l'Allemagne et de la culture allemande au point d'en devenir les meilleurs spécialistes. Beaucoup ont été de fervents nationalistes et, durant la première guerre mondiale, les Juifs allemands (tout comme les Israélites français) ont combattu pour leur pays. Jamais aucune passion amoureuse n'a été aussi horriblement récompensée que celle des Juifs pour l'Allemagne puisqu'elle se termine dans les camps de la mort. La fin du film qui voit un Juif et une Allemande vivre en Israël montre que l'histoire judéo-allemande continue comme elle montre que le Berlin d'aujourd'hui est bien loin de celui d'hier.

Paul Ink le 16 janvier 2005