jeudi, janvier 06, 2005

Empire

"La Russie sans l'Ukraine cesse d'être un empire". Cette remarque de Zbigniew Brzezinski (Le Monde du 5 janvier 2005) résume admirablement les raisons pour lesquelles je pensais que l'affaire ukrainienne se terminerait mal lorsque je passais fin novembre 2004 une semaine à Kiev.

Ce que je n'avais pas compris, c'est qu'il ne restait déjà plus à la Russie pour protéger son empire que le truandage électoral. Et que ce piètre moyen de conserver le pouvoir avait atteint ses limites. Fini donc le temps où à Budapest en 56, à Prague en 68 ou même à Varsovie en 81, elle réglait par la force et avec les formes légales les plus minimales les crises qui secouaient son glacis. Ce temps est donc révolu. Et j'ai cru la Russie beaucoup plus forte qu'elle n'est. J'ai surestimé aussi ses capacités de chantage sur la partition du pays entre l'est industriel, russophone et orthodoxe et l'ouest occidentalophile et uniate, bref cette "frontière civilisationnelle" dont parlait avec tant d'intelligence Samuel Huntington dans "Le choc des civilisations".

On pourrait donc résumer les choses ainsi : dans l'affaire ukrainienne, au moins jusqu'à présent, c'est plutôt Fukuyama qui a gagné et Huntington qui a perdu.Toute cyrillique qu'elle soit, l'Ukraine ne veut plus que les urnes soient bourrées, que les décisions soient prises à Moscou et que la corruption étale trop impudiquement ses richesses mal acquises. Et l'on n'a pas nécessairement besoin d'être un occidental romain pour désirer puis exiger cela. Byzance aussi a droit à la démocratie politique ! Basculant dés lors dans un optimisme peut-être excessif, je me dis : serait-ce le début de la fin du "malheur russe" qui a tant à voir avec le despotisme et l'absence des libertés publiques ? On peut rêver !

Paul Ink le 6 janvier 2005