Bolkestein, Frankenstein !
La première fois que j'ai entendu parler de la désormais célèbre directive Bolkestein sur la libéralisation des services dans Europe des vingt-cinq, c'était il y a quelques mois par un collègue de travail qui avait glissé dans mon casier la photocopie d'un papier paru dans Charlie Hebdo et qui fustigeait la dite directive. Je n'ai d'ailleurs entendu que des critiques ou à peu près contre ce fameux texte : à gauche évidemment on est contre mais aussi à droite. Ainsi Patrick Ollier, président (UMP) de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le juge inacceptable (Le Figaro du 01/03/05).
Avant d'aller plus loin, je dois faire, ö lecteur, mon semblable, mon frère, un terrible aveu : je ne suis pas seulement incorrectement politique mais aussi incorrectement économique. Quand cette maladie a-t-elle commencé ? Peut-être avec le tournant de la rigueur de 83 et les débats qui l'avaient précédé. J'étais alors contre la sortie de la France du SME et je devais donc accepter l'idée que le volontarisme en matière d'économie trouvait vite ses limites. Depuis, mon cas s'est beaucoup aggravé : je suis toujours aussi nul en économie mais j'ai tout de même tenté, comme nombre de mes contemporains, d'y comprendre quelque chose en lisant des auteurs comme Erik Izraelewicz ou Daniel Cohen. Je me souviens par exemple avoir lu chez l'un d'eux que les Français avaient dépensé autant d'argent pour amortir le démantèlement de leur sidérurgie dans les années 80 que les Américains avaient investi dans la silicone valley ! Cet exemple était donné pour illustrer l'idée de la destruction créatrice (ou de la création destructrice) : des emplois doivent être détruits pour que de nouveaux gisements de travail se développent. J'ai aussi compris que la France avait fait le choix du chômage même si ce choix n'avait pas été assumé comme tel mais hypocritement renvoyé sur "la crise", l'Europe ou même l'ultra-libéralisme (il est très important de ne jamais oublier "ultra" devant "libéralisme" : c'est un shifter au sens de Roman Jacobson). En fait, la contrainte se présente de la manière suivante : soit un marché du travail rigide où existe un large secteur public hyper-protégé pendant que les autres salariés subissent seuls les contraintes de la concurrence et que le chômage des jeunes est au plus haut soit une fexibilisation (précarisation disent ses adversaires) du marché du travail qui permet de limiter très fortement le chômage. Un seul exemple : le CDD de 24 mois. Personnellement, je suis pour. C'est vous dire si je suis un monstre. J'ai aussi acquis quelques autres certitudes comme le lien fort existant entre liberté politique et liberté economique mais je ne veux pas aggraver mon cas.
Et j'en reviens donc à la directive Bolkestein. Elle vise à faciliter la libre circulation des prestataires de services et à donner aux entreprises le droit de s'établir parmi les 25. Ce qui crée la polémique sur le risque de "dumping social", c'est le "principe du pays d'origine" : un architecte polonais travaillant en France serait ainsi payé au tarif polonais. Scandaleux ont dit mes amis ! j'étais embêté. En fait, j'apprends que la directive prévoit quelque chose de beaucoup plus raisonnable : "Pour que le prestataire soit payé aux conditions de son pays d'origine, il doit fournir ses services à distance via la poste, le téléphone ou l'internet, donc sans se déplacer. En revanche, s'il se déplace - même temporairement dans le pays d'accueil- il sera alors soumis aux règles sur les travailleurs détachés qui veut qu'il soit rémunéré aux conditions du pays d'accueil." (Le Figaro du 01/03/05). Je me résume : la directive Bolkestein est globalement raisonnable et ne ressemble en rien à l'épouvantail qu'on a bien voulu me présenter : complot diabolique des ultras (libéraux) pour casser les systèmes sociaux de beaux pays comme la France.
Et Patrick Ollier, déjà cité, d'expliquer qu'avec la circulaire Bolkestein, nous assistons "à une confrontation entre deux droits différents, l'un d'inspiration libérale défendu par les pays anglo-saxons et nordiques et l'autre plus social défendu par les pays latins comme la France." Le hasard fait bien les choses : les derniers comptes publics de la latine France viennent de tomber de l'escarcelle de l'insee. Eh bien, le croirez-vous, ils sont très mauvais : le déficit des comptes sociaux est passé de près de 9,6 à 13,8 milliards d'euros tandis que la dette dérape très au delà de la barre des 60% du PIB passant de 63,9 à 65,6% entre 2003 et 2004 et représentant aujourd'hui 17000 euros par Français (Le Monde du 02.03/05). On ne le dira jamais assez : le modèle français, c'est quand même autre chose !
Paul Ink le 02/03/05
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home