Déclin
Quelles conséquences aurait en Europe un "non" français au projet de constitution en dehors du fait qu'on en reviendrait au traité de Nice dont Giscard affirme qu'il est le plus mauvais traité jamais signé par la France dans le cadre de la construction européenne ? Il est certain qu'en France même s'ouvrirait une grave crise politique après que les deux principaux partis de gouvernement, l'UMP et le PS, auraient été désavoués. Après le 21 avril 2002 et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, ce serait un nouveau séisme.
Disons le tout net : un tel scénario, que semblent conforter cinq sondages successifs donnant le "non" gagnant, serait logique. Les Français ont une terrible envie de se défouler voir de se faire peur raison pour laquelle les arguments du type : le "non", c'est le chaos ! risquent d'être pousse au crime. Le pays va mal et les signes de déclin s'accumulent comme l'a montré de manière très convaincante Nicolas Baverez dans "La France qui tombe" (Perrin, 2003). On peut toujours discuter de l'opportunité qu'il y avait de choisir la voie référendaire plutôt que parlementaire tant il est vrai que le peuple ne répond pas nécessairement à la question qu'on lui pose. Mais il est trop tard pour avoir des regrets. Les Français ne veulent tout simplement pas du monde tel qu'il devient.
Il suffit pour s'en convaincre de prendre la mesure du délire anti-libéral qui souffle sur le pays. Jean-Louis Borloo, qui doit par ailleurs affronter des chiffres de chomage calamiteux, explique par exemple qu'il faut voter cette constitution précisément parce qu'elle n'est pas libérale : on croit rêver ! Les Français souhaitent donc travailler moins tout en conservant un secteur public pléthorique, un droit du travail décourageant l'emploi et un chomage de masse. On comprend que l'épouvantail Bolkestein qui a fait l'unanimité contre lui ait été habilement agité par les partisans du "non" à droite comme à gauche. On compte sur les doigts d'une seule main les responsables politiques qui ont osé aller à contre-courant. Alors que le monde bouge et vite, le pays a décidé de se figer dans un superbe immobilisme. Il dit non !
Et ce "non" charrie tout et son contraire : non à l'entrée de la Turquie dans l'Europe, non à la mondialisation, non aux réformes. La France est le pays d'Europe qui a pris le plus de retard dans l'inévitable effort d'adaptation au monde qui vient. Nos voisins Allemands souffrent mais au moins ont-ils courageusement engagé des réformes de fond qui finiront par porter leurs fruits.
Voilà comment se concluait le livre de Baverez : "soit la thérapie de choc pour moderniser le pays à marche forcée en prenant le risque d'affronter les corporatismes; soit la poursuite d'un déclin pas si tranquille, car débouchant inéluctablement sur une nouvelle progression, voir l'accession au pouvoir, de l'extrême-droite, avec pour pendant la radicalisation accélérée de la violence sociale." Il est bien possible que Baverez se trompe. En revanche, si le "non" passe, même Nicolas Sarkozy n'osera plus réformer le pays. A moins qu'à l'occasion d'une crise qui sera aussi européenne, les Français ne prennent conscience de la réalité des enjeux et que vienne un sursaut.
C'est improbable : le pays vieillit et c'est peut-être d'abord pour cela qu'il a peur de l'avenir et du changement. Il est crispé dans ses corporatismes et, en quelques années, son unité s'est craquelée devant la montée des communautarismes. Le malaise est profond, palpable. On cherche des raisons d'être optismiste. C'est peu dire qu'on peine à les trouver.
Paul Ink le 3 avril 2005
PS : Le Monde du 31 mars 2005 publie un "point de vue" intitulé "Nouveau lumpenprolétariat et jeunes casseurs" et signé par trois parents de lycéens blessés lors de la manifestation du 8 mars. Evoquant le racisme, les auteurs dénoncent "la barbarie libérale". La barbarie libérale ! Oser écrire cela après un siècle défiguré par le fascisme et le communisme. Je respecte la douleur de ces parents mais, il n'empêche, il y a des coups de pied au cul qui se perdent !
4 Comments:
Ce que vous nommez "déclin", que d'autres traduisent par "peur du dumping social,sentiment d'insécurité,de confusion","écran de fumée", n'est-il pas plus primairement du conformisme,une soumission à l'emprise du groupe qui a toujours existé et à propos duquel un grand cancérologue français disait:"L'homme ordinaire, c'est le bonheur du conformisme"
Ce que vous nommez "déclin", que d'autres traduisent par "peur du dumping social,sentiment d'insécurité,de confusion","écran de fumée", n'est-il pas plus primairement du conformisme,une soumission à l'emprise du groupe, qui a toujours existé et à propos duquel un grand cancérologue français disait:"L'homme ordinaire, c'est le bonheur du conformisme" B-P Sch.
Désolé, j'ai commis un lapsus bien involontairement, la citation émane d'un homme politique et non de son homonyme cancérologue.
Avec mes excuses.
B-P Sch.
Non, je ne crois pas que l'on puisse voir les choses comme cela. Il ne s'agit pas du conformisme qui a effectivement toujours existé. Il s'agit au contraire d'un processus profondément historique : le décrochage actuel de la France, son impuissance à affronter le monde tel qu'il est. Par ailleurs, je n'ai rien contre les hommes ordinaires pour en être moi-même un. Quant à votre lapsus aurait-il quelque chose à voir avec les Schwartzenberg, Léon et Roger-Gérard ?
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