Flics et toubibs
L'arrestation par hasard de Romain Dupuy, l'assassin présumé de deux infirmières de l'hopital psychiatrique de Pau, a provoqué des polémiques d'autant plus confuses que deux dimensions différentes ont été confondues : celle qui porte avant et celle qui porte après le crime. Avant, c'est la capacité de prévoir la dangerosité qui est posée : La mère du jeune homme reproche aux psychiatres de n'avoir pas donné suite à sa demande de (ré)hospitaliser son fils. Après, se pose la question de la coopération de la médecine avec la police pour retrouver l'assassin. On se situe alors à un moment où la dangerosité de la personne qui a commis le crime ne fait plus de doute pour personne.
Des policiers dénoncent en effet le peu d'aide qu'ils on reçu des psychiatres pour retrouver le meurtrier. Deux griefs reviennent ; tout d'abord les médecins ne les ont pas aidé à "screener" correctement la personne recherchée : "On nous a adressé des personnes de toute évidence physiquement diminuées, alors que nous cherchions un individu capable de sauter d'une fenêtre située à environ 2 m du sol." (Le Figaro du 02/02/05). Six cents ADN ont ainsi été prélevés pour rien. Par ailleurs, en 2003 un rapport médical avait relevé l'obsession de Romain Dupuy pour la décapitation. Cet élément n'avait pas été transmis à la police. (Le Monde du 03/02/05)
Je suis médecin et je sais donc, par expérience et pour voir travailler mes collègues, combien sont difficiles les rapports entre la police et la médecine. Tout d'abord, les métiers sont si différents que, sauf exception, médecins et policiers ne "voient" pas la même personne : le médecin rencontre quelqu'un qui est en demande de soins et qui se présente (sauf hospitalisation sous contrainte) de son plein gré, le policier interpelle un suspect qui lui est a priori hostile et veut lui échapper. Les soignants voient la douleur, la solitude, le côté humain des personnes, les policiers leur côté noir, sordide, violent et parfois inhumain. Ensuite les médecins soupçonnent toujours les policiers de chercher à violer le sacro-saint secret médical qui est effectivement sacré. Mais il ne justifie pas un racisme anti-flic de principe et/ou une paresse collective. Enfin, et c'est peut-être le plus embarrassant, il y a une sorte de mépris pour le travail policier : leur laisser prélever six cent tests ADN pour rien alors que court un dangereux assassin ne semble pas poser problème. C'est ce mépris que ne supportent pas les policiers qui ont tout de même vu le jeune malade mental sortir un pistolet pour leur tirer dessus à trois reprises (heureusement l'arme s'est enrayée) au moment où ils l'interpellaient (parce qu'il fumait un joint dans la rue !). Tout le monde à Pau espérait l'arrestation de l'assassin y compris, bien-sûr, le corps médical. Cela montre, a contrario, combien est profond le fossé qui sépare flics et toubibs.
La non-coopération s'alimente à une source pourtant commune : psychiatres et policiers sont persuadés, chacun à leur manière, qu'on ne peut rien comprendre à leur (indispensable) sacerdoce et qu'en conséquence il faut donner aux uns et aux autres des explications qu'ils peuvent comprendre, rien de plus. Donnons en un exemple : le docteur Bernard Cordier affirme que "la psychiatrie existe dans un but thérapeutique, pas pour faire régner l'ordre." (Le Monde du 03/02/05). Pourquoi, dans ce cas, les psychiatres ont-ils le pouvoir, apparemment exhorbitant, de procéder à des hospitalisations à la demande d'un tiers (HDT) c'est à dire contre la volonté du patient s'il est dangereux pour lui-même ou pour les autres ? Précisément parce qu'à côté du but thérapeutique existe une dimension de protection de la société qui fait fondamentalement partie de la mission des psychiatres.
Je ne sais comment il est possible de remédier à une telle situation. Peut-être faut-il créer une commission comportant un policier un représentant de l'Ordre des médecins et d'autres qui, dans certaines situations indubitables, demanderait aux uns et aux autres un "haut niveau de coopération". Peut-être faut-il aussi demander aux psychiatres de lire Michel Foucault avec un peu de recul et sans nécessairement le prendre au pied de la lettre ? Peut-être accepteraient-ils alors plus facilement des notions décriées comme le civisme, la défense de la société ou la nécessité d'aider la police lorsqu'elle recherche un dangereux criminel. Derrière le fait divers de Pau il n'y a pas seulement la grande misère de la psychiatrie française, il y a aussi ses profondes apories.
Paul Ink le 6 février 2005
PS1 : un ami me fait remarquer que je n'ai pas bien compris la nature du secret médical. Dont acte. Mais j'aimerais savoir si, en l'espèce, le code de déontologie autorisait ou pas médecins et infirmiers à apporter une aide efficace pour screener les suspects et la transmission de l'information sur les fantasmes de décapitation de Romain Dupuy.
PS 2 : remarquable article de Blandine Grosjean, "Le sida en traître" dans Libération du 7 févier 2005 (rubrique "Grand angle")
2 Comments:
UNE AUTRE VISION DE LA SITUATION:L'article 434-1 du Code Pénal précise que:
"Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende...
...Sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13."
Le Code Pénal excepte donc le médecin.
Le Code de Déontologie Médicale (article 4) précise que le secret médical est "institué dans l'intérêt des patients. "
Un médecin qui propose un lot de patients à la Police comme étant de potentiellement dangereux criminels agit-il dans leur intérêt? Il peut se poser la question des répercussions de sa décision sur ces patients ,qu'il aura sélectionnés sur la base de son jugement médical.
On comprend que le médecin se réfugie derrière les codes qui le protègent,certes, mais qui ne l'autorisent pas à se tromper.
B.P. Schoepflin, le 7 février 2005
.
Precision:
Le prélèvement ADN ne concerne pas le medecin:il peut etre effectué avec un kit spécial buccal par n'importe quel enqueteur (police ou gendarmerie), avec l'accord du suspect...s'il n'est pas d'accord, c'est louche!
Pour ce qui est de l'article 226-13 du code pénal: il parle de secret professionnel (et non plus de secret médical comme dans l'ancien code).
Mais il existe 3 dérogation légales énoncées dans l'article 226-14. Parmi celles ci, une,autorise la levée du secret: si un individu est possesseur d'une arme (un sabre, pourquoi pas?) ou manifeste l'intention de s'en procurer une.Le médecin (ou toute autre personne détentrice d'un secret) peut se délier du secret auprès des autorités judiciaires ou administratives.Mais il n'y est pas obligé.
Enregistrer un commentaire
<< Home